RDC: en Ituri, la vie brisée d'un enseignant dans l'attente d'une paix fragile

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"L'avenir est sombre", soupire Joachim Lobo, un enseignant qui rêve de "reprendre la craie" et retrouver ses élèves si les efforts de paix aboutissent dans sa province de l'Ituri dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC).

"J'ai perdu ma fonction à cause de toutes ces bêtises. Vous voyez comment on peut être révolté", raconte à l'AFP M. Lobo, professeur de français-philosophie.

A 60 ans, ce père de neuf enfants fait partie des dizaines de milliers de déplacés qui ont fui les violences dans le nord de l'Ituri, dans les territoires de Djugu et Mahagi.

M. Lobo raconte avoir quitté en 2019 sa localité de Sombuso. L'AFP le rencontre à 20 km de son village d'origne, dans le camp de Loda, non loin d'une base des Casques bleus de la Mission de l'ONU en RDC (Monusco).

Des conditions de vie indignes: "Pas de latrines, pas de nourriture, pas d'eau potable, pas de soins médicaux".

Membre de la communauté hema, M. Lobo affirme vouloir se protéger des miliciens identifiés comme des combattants de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco).

La Codeco est une secte politico-militaire qui prétend défendre les Lendu, autre communauté de l'Ituri, face aux "tracasseries" de l'armée congolaise et à l'oppression supposée des Hema.

Les milices lendus sont accusées par les Nations unies d'avoir tué plusieurs centaines de civils hema et alur - une troisième communauté.

La Haute commissaire aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet, a dénoncé un "crime contre l'humanité".

M. Lobo affirme avoir déjà fui les violences de la guerre de 1999-2003. Le conflit avait fait des dizaines de milliers de morts dans cette province riche en or, frontalière de l'Ouganda et de l'actuel Soudan du Sud.

A l'époque, Lendu et Hema s'étaient entretués par milices interposées jusqu'à l'intervention en 2003 d'une force européenne, Artémis, sous commandement français.

Les violences ont repris en décembre 2017. Un des enjeux du conflit reste "le contrôle des terres par les Lendu", indiquait en début d'année un rapport des Nations unies.

Les notables lendu "ne soutiennent pas les assaillants et dénoncent leur violence", d'après l'International crisis group (ICG). Ces notables estiment que les milices qui tuent en leur nom "seraient le fruit de manipulations externes, notamment de politiciens congolais installés à Kinshasa et en Ouganda".

En 2005, l'Ouganda a été condamné par la Cour internationale de justice pour avoir occupé l'Ituri et avoir encouragé le "conflit ethnique" dans la province lors du conflit de 1999-2003.

- "Pression militaire" -

Investi en janvier 2019, le président Tshisekedi avait dénoncé "une tentative de génocide" et un "complot" lors de sa visite à Bunia début juillet 2019, au plus fort d'une flambée de violences.

Le chef de l'Etat avait annoncé une opération militaire "de grande envergure" contre les assaillants. L'opération "Tempête de l'Ituri" a principalement conduit à la mort d'un chef de la Codeco.

Un an plus tard, le président cherche à organiser un sommet sur la sécurité régionale, avec quatre pays dont l'Ouganda et a envoyé une délégation d'anciens chef de guerre du conflit de 1999-2003 pour négocier la reddition des miliciens pro-Lendu.

Depuis, le nombre d'attaques a sensiblement diminué, d'après les témoignages recueillis par l'AFP.

La route nationale 27, qui relie la RDC à l'Ouganda, est de nouveau ouverte au trafic des camions immatriculés en Ouganda et au Kenya. Un axe vital pour l'importation, dans l'est de la RDC, du carburant et des marchandises en provenance d'Afrique de l'Est.

Mais les véhicules sont escortés par l'armée, a constaté une équipe de l'AFP.

"Les gens ont tendance à retourner dans leur village. Mais leur souci c'est la sécurité d'abord, que le calme reprenne", avance Dieudonné Kpadyu Mnyoro.

Ce commerçant s'est réfugié depuis mars 2020 avec plus de 1.200 familles dans les bâtiments en ruine de la paroisse catholique de Fataki, détruite lors de la guerre de 1999-2003.

Agathe Gipatho, 60 ans, est sceptique sur les efforts de paix en cours: "Il faut une pression militaire. Il faut qu'on donne des moyens conséquents à l'armée pour sécuriser la population, et imposer la paix. Il faut que la justice s'occupe des criminels", estime cette paysanne de 60 ans, lors d'un échange avec les membres de la communauté alur à Nioka, en territoire de Mahagi.