L'ONU dénonce de possibles "crimes de guerre" en Ethiopie

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L'ONU a réclamé vendredi une enquête sur de possibles "crimes de guerre" dans la région éthiopienne dissidente du Tigré, où l'armée mène depuis dix jours une opération militaire contre les forces locales qui, selon le Premier ministre Abiy Ahmed, sont "à l'agonie".

Jeudi soir, Amnesty international a dénoncé un "massacre" ayant "probablement" fait des centaines de victimes civiles à Mai-Kadra, dans le Sud-Ouest du Tigré.

"S'il est confirmé qu'ils ont été délibérément perpétrés par une partie aux combats actuels, ces meurtres de civils équivaudraient bien sûr à des crimes de guerre", a fait savoir vendredi la Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet, réclamant une "enquête indépendante".

Selon des témoins cités par Amnesty, qui ont consulté les cartes d'identité de certaines victimes, celles-ci sont originaire de la région Amhara, voisine du Tigré. Les tensions communautaires sont récurrentes entre communautés amhara et tigréennes.

L'organisation dit ne pas être en mesure d'identifier les responsables, mais cite des témoignages incriminant les forces loyales au Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF), qui dirige depuis longtemps la région.

Le président du Tigré, Debretsion Gebremichael, a fermement démenti vendredi auprès de l'AFP toute implication des troupes loyales au TPLF dans ce massacre.

"Cela ne repose sur rien. Cela ne peut pas être lié à nous", a-t-il affirmé, joint par l'AFP depuis Addis Abeba via une messagerie. "Nous avons nos valeurs, nous avons nos règles. Nous savons comment traiter les gens", a-t-il insisté.

Il a revanche accusé l'aviation éthiopienne d'avoir tué des civils lors de ses frappes à Mekele, la capitale régionale, et à Adigrat, localité proche de la frontière avec l'Erythrée. Il a également souligné que les combats avaient déplacé des centaines de milliers de personnes à l'intérieur du Tigré.

La vérification indépendante des affirmations de l'un et l'autre camp est rendue très difficile par le blackout sur les communications dans la région et les restrictions aux déplacements des journalistes.

- "Cernés de toutes parts" -

M. Debretsion a également contesté les déclarations triomphalistes du gouvernement fédéral, affirmant que ceux qui croient en une victoire prochaine de l'armée fédérale "rêvent éveillés".

"Nous sommes des gens fiers qui pouvons nous défendre. (Cette terre) est un cimetière pour les envahisseurs", a-t-il affirmé.

Après avoir promis jeudi une "victoire d'ici relativement peu de temps", M. Abiy a assuré vendredi, dans un discours en langue tigréenne publié sur internet, que la "force malveillante" loyale au TPLF était "cernée de toutes parts" et "à l'agonie".

Il a lancé un ultimatum aux troupes du TPLF, les appelant à "se soulever" et à "faire défection au profit" de l'armée fédérale. "Utilisez cette opportunité que vous offre votre pays dans les deux ou trois prochains jours (...) sauvez votre vie", leur a-t-il lancé.

M. Abiy a justifié l'intervention militaire par la nécessité de rétablir des "institutions légitimes" au Tigré, dont les autorités défient depuis plusieurs mois le gouvernement fédéral. Il a accusé les forces du TPLF d'avoir attaqué deux bases de l'armée éthiopienne dans la région, mais celui-ci dément.

La justice éthiopienne a lancé jeudi un mandat d'arrêt contre M. Debretsion et 63 autres personnes considérées comme "mettant en danger l'existence" de l'Ethiopie et, vendredi, un directeur a été nommé à la tête de la nouvelle "administration provisoire de l'Etat régional du Tigré".

Le même jour, un responsable de l'Union africaine (UA) a confirmé que l'organisation, dont le siège est à Addis Abeba, s'était séparée de son directeur de la sécurité, un général éthiopien originaire du Tigré. Cette décision fait suite à un signalement du ministère de la Défense au sujet de la possible malhonnêteté de cet officier qui pourrait porter atteinte aux relations entre l'Ethiopie et l'UA, selon ce responsable.

Aucun bilan des combats n'est pour l'heure disponible au Tigré, mais 11.000 personnes ont déjà fui au Soudan voisin, selon des responsables soudanais.

Le chef de la diplomatie de l'Union européenne Josep Borrell et le commissaire chargé de l'aide d'urgence, Janez Lenarcic, ont dénoncé jeudi "les mesures ethniquement ciblées, l'incitation à la haine et les allégations d'atrocités en cours en Ethiopie".

"La diabolisation de groupes ethniques est un cercle vicieux et mortel duquel l'Ethiopie doit être protégée", ont-ils mis en garde.