Soudan: vingt ans après, le tragique retour d'Éthiopiens dans les camps de refugiés

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Vingt ans après avoir quitté le camp de réfugiés d'Oum Raquba, dans l'est du Soudan où il avait trouvé refuge pour fuir la famine qui décimait l'Ethiopie, Bourhane Youssef, 77 ans, s'apprête à y retourner avec sa fille qui y est née.

Cette fois, il a traversé la rivière Sietet qui sépare les deux pays à bord d'une frêle embarcation, avec de nombreux compagnons d'infortune, pour échapper à la guerre qui ravage sa région natale du Tigré, où les forces gouvernementales mènent une offensive contre les forces locales dissidentes.

Lunettes de soleil sur le nez, chaussé de sandales en plastique et vêtu d'une chemise blanche assortie d'un pantalon clair, il s'appuie désormais sur un bâton mais a vite retrouvé les vieilles habitudes.

Dans la localité de Hamdayit, près de la frontière dans la province de Kassala, il fait la queue pour recevoir un peu de nourriture.

"J'avais la quarantaine quand je suis arrivé dans le camp d'Oum Raquba où j'ai élevé mes quatre enfants. Aucun de mes trois fils n'a voulu revenir (au Soudan). Seule ma fille m'a accompagné. Elle avait sept ans quand nous sommes repartis à Humera, en Ethiopie, et elle en a 27 aujourd'hui", dit-il.

La jeune femme refuse elle de parler et tourne le dos aux journalistes.

Le camp d'Oum Raquba, où il doit se rendre, se trouve à 80 kilomètres de la frontière et a été construit dans les années 1980 avant d'être fermé en 2000.

De 1983 à 1984, l'Éthiopie a subi l'une des pires famines du siècle, contraignant des centaines de milliers d'habitants à fuir leur pays. La famine était due à une terrible sécheresse combinée à une guerre menée par le dictateur Mengistu Haile Mariam contre la guérilla tigréenne.

- Case départ -

Voilà M. Youssef revenu à la case départ.

"Je me souviens parfaitement de ce camp où j'ai vécu durant tant d'années et y retourner n'est vraiment pas une perspective agréable. Ce qui me console c'est de penser que j'y retrouverai des amis soudanais que j'ai perdus de vue depuis tant d'années", affirme cet homme qui attend son départ.

Ce camp d'une capacité d'accueil de 20.000 places a rouvert vendredi.

"Nous y avons transféré 1.115 réfugiés et nous allons continuer à en envoyer quotidiennement", a affirmé à l'AFP Yacoub Mahmoud, de l'agence soudanaise pour les réfugiés. Selon cette organisation, plus de 20.000 personnes ont fui les combats en Ethiopie pour rejoindre le Soudan.

Gabriel, un agriculteur de 40 ans, est né à Oum Raquba et y a vécu durant vingt ans. "Je suis rempli d'une incommensurable tristesse car quand je suis parti, il y a vingt ans, je n'ai jamais pensé que je reviendrai comme un misérable réfugié", affirme cet homme, qui ne veut pas fournir son vrai nom pour des raisons de sécurité.

"La guerre m'a fait revenir et je ne sais pas combien de temps je vais revivre la terrible situation qui fut la mienne à ma naissance", ajoute cet homme abattu, en attendant de recevoir une portion de kishra, un plat traditionnel à base de sorgho.

Le flot de réfugiés ne se tarit pas. La plupart sont épuisés et ont fui sans rien emporter avec eux, effrayés par les récits de massacres et le bruit incessant des bombardements.

L'ONU a réclamé vendredi une "enquête indépendante" sur de possibles "crimes de guerre" dans la région éthiopienne dissidente du Tigré, où l'armée mène depuis dix jours une opération contre les forces locales qui, selon le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, sont "à l'agonie". Celles-ci ont affirmé samedi avoir infligé de "lourdes pertes" à l'armée fédérale éthiopienne.

Jeudi soir, Amnesty international a dénoncé un "massacre" ayant "probablement" fait des centaines de victimes civiles à Mai-Kadra, dans le sud-ouest du Tigré.