Procès historique en Suisse d'un criminel de guerre présumé libérien, sans les victimes

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L'ex-commandant rebelle libérien Alieu Kosiah, accusé d'avoir commis des crimes de guerre dans son pays, a nié en bloc pendant la première journée jeudi de son procès historique en Suisse, d'où les victimes sont absentes à cause de la pandémie.

En raison de la crise sanitaire, la justice suisse, qui a déjà reporté le procès à plusieurs reprises, a décidé que les plaignants, qui résident en Afrique, ne seront pas entendus avant 2021.

"Nos clients veulent assister à l'audience d'Alieu Kosiah. Et j'ai donc plaidé le report. Toutefois à titre subisidaire, j'ai proposé que les victimes puissent suivre la semaine prochaine l'audition depuis le Liberia par vidéo", a expliqué à l'AFP l'avocat Alain Werner, directeur de l'organisation Civitas Maxima qui représente une partie des victimes.

Les juges du Tribunal pénal fédéral de Bellinzone rendront leur décision vendredi, au deuxième jour du procès d'Alieu Kosiah, 45 ans, détenu depuis son arrestation en novembre 2014 en Suisse, qui reconnaît le principe de justice universelle.

Au cours de cette première journée de débats où le nombre de places dans la salle d'audience est extrêmement restreint en raison de la crise sanitaire, il est ressorti que Kosiah conteste tous les faits qui lui sont reprochés, a rapport l'agence de presse suisse ATS.

Son avocat a également demandé la récusation des avocats de Civitas Maxima, invoquant des conflits d'intérêts entre leur mandat d'avocat et leur fonction au sein de cette organisation basée à Genève.

- Crimes contre l'humanité? -

Les parties civiles plaident de leur côté pour que les crimes dont Kosiah est accusé soient qualifiés de crimes contre l'humanité.

La Suisse a été appelée à traiter plusieurs affaires relevant de la justice internationale, mais c'est la première fois qu'un criminel de guerre présumé passe devant une instance non militaire helvétique.

Par ailleurs, aucun Libérien n'a été condamné jusqu'ici, dans son pays ou à l'étranger, pour des crimes de guerre commis pendant la guerre civile au Liberia.

Un des principaux acteurs du conflit, l'ex-chef de guerre devenu président (1997-2003) Charles Taylor, avait été condamné en 2012 pour des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre perpétrés en Sierra Leone, voisin du Liberia, mais il n'a pas été inquiété pour les atrocités commises dans son propre pays d'Afrique de l'Ouest.

Le conflit au Libéria, l'un des plus atroces survenus sur le continent africain, a fait quelque 250.000 morts entre 1989 et 2003.

La plupart des commandants des différents groupes armés ont fui le pays après la guerre.

Kosiah, qui vivait en Suisse depuis 1999 selon HRW, a été arrêté à la suite de plaintes pénales déposées par des victimes.

Le parquet fédéral helvétique accuse Alieu Kosiah d'avoir commis, entre 1993 et 1995, en qualité de membre de l'ULIMO (United Liberation Movement of Liberia for Democracy), faction de groupes armés hostiles au mouvement de Charles Taylor (le Front national patriotique du Liberia, NPFL), plusieurs infractions constitutives de "crimes de guerre".

- "Impunité" -

A savoir: recrutement et utilisation d'enfants soldats, transports forcés, pillage, traitement cruel de civils, tentative de meurtre, meurtres (directement ou par ordre), profanation d'un cadavre et viol.

En France, le parquet antiterroriste a récemment requis un procès aux assises contre un autre ex-commandant rebelle libérien, Kunti K., accusé d'actes de torture.

"Alieu Kosiah et Kunti K. étaient deux des commandants du même groupe armé - ULIMO - et combattaient au même moment dans le Lofa County, dans le nord du Libéria", a expliqué M. Wavre, de Civitas Maxima.

Plus de quinze ans après la fin du confit, un grand nombre de personnalités directement impliquées dans la guerre civile occupent toujours des positions importantes dans les sphères du pouvoir politique et économique.

Les recommandations du rapport de la Commission vérité et réconciliation (TRC) publié en 2009 sont restées largement lettre morte, notamment au nom du maintien de la paix.

"Il y a une énorme frustration de beaucoup de victimes au Liberia parce qu'il y a une complète impunité qui règne dans ce pays quand il s'agit de la poursuite des crimes de guerre", a déploré Alain Werner.