Afrique et CPI, des relations tumultueuses

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Le 25e sommet de l'Union africaine (UA) qui s'est ouvert dimanche à Johannesburg a une nouvelle fois illustré les relations tumultueuses entre les chefs d'Etats africains et la Cour pénale internationale (CPI).

Cette tension se résumait dimanche à la photo officielle d'ouverture de la rencontre: le président soudanais Omar-el-Béchir souriant au milieu de ses pairs alors même que la justice sud-africaine venait de lui interdire de quitter le pays, en réponse à un mandat d'arrêt de la CPI.

En dépit des poursuites engagées contre lui par la CPI en 2009 et 2010 pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide dans le conflit de la province soudanaise du Darfour, le président el-Béchir s'est déjà rendu depuis dans des États parties à la CPI tels que le Tchad, le Kenya et le Nigeria.

Aucun de ces pays ne l'a inquiété, témoignant du ressentiment de nombreux chefs d'Etats du continent envers la CPI.

Estimant le continent africain injustement ciblé, l'UA, dont le sommet s'achève lundi à Johannesburg, s'est plusieurs fois prononcée contre toute tentative d'arrestation du président soudanais, au nom de son immunité de chef d'Etat en exercice.

La CPI a été créée en 2002 à La Haye pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre qui n'ont jamais été poursuivis dans leur propre pays. Ses résultats sont inégaux - seules deux condamnations ont été prononcées à ce jour -, mais c'est surtout sa polarisation sur l'Afrique - les huit pays pour lesquels elle a ouvert des enquêtes sont tous africains - qui suscite les plus fortes critiques.

En 2013, le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn, président en exercice de l'UA, avait ainsi accusé la CPI de mener "une sorte de chasse raciale".

En décembre 2014, le président ougandais Yoweri Museveni appelait ses homologues africains à quitter la CPI jugeant que les pays occidentaux avaient "détourné" cette juridiction de sa mission originelle, et en avaient fait "un outil pour viser l'Afrique".

L'année précédente, ce vétéran de la scène politique africaine considérait déjà que certains utilisaient la CPI "pour mettre en place les dirigeants de leur choix en Afrique et éliminer ceux qu'ils n'aiment pas".

Cet argument selon lequel la CPI serait un fer de lance du néo-colonialisme a d'ailleurs été largement mis en avant par Uhuru Kenyatta lors de sa campagne victorieuse à la présidentielle kényane en 2013. La CPI a abandonné les poursuites à l'encontre du président kényan fin 2014, faute de preuves.

- Une juridiction très africaine -

En août 2012, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, nouvellement élue à la tête de la Commission de l'UA, avait elle-même jugé qu'il serait néfaste d'arrêter le président soudanais car il devait être associé au processus de paix dans son pays. "C'est plus important de faire la paix au Soudan que de se précipiter pour l'arrêter", avait-elle plaidé.

Une position adoptée dès 2010 par le président en exercice de l'UA, le président du Malawi Bingu wa Mutharika. A Kampala, il avait décrété que l'inculpation du président soudanais en exercice "port(ait) atteinte à la solidarité africaine, ainsi qu'à la paix et à la sécurité en Afrique".

A toutes ces critiques, les militants des droits de l'Homme rétorquent que la CPI ne peut cibler aucun continent en particulier puisque la grande majorité des investigations sont menées à la demande des gouvernements des pays où les crimes ont eu lieu ou du Conseil de sécurité des Nations unies en raison de la gravité des crimes commis.

Par ailleurs, des observateurs relèvent que la CPI est en fait une institution très africaine: les Etats africains étaient parmi les premiers à adopter le Statut de Rome, fondateur de la Cour, et ils représentent plus d'un quart de ses Etats membres.