16.01.13 - TPIR/BILAN - DEUX ANS POUR TERMINER LES DERNIERS APPELS

Arusha, 16 janvier 2013 (FH) - Les automobilistes de la petite ville tanzanienne d’Arusha semblent avoir oublié, depuis plusieurs mois déjà, les désagréables sirènes matinales de véhicules onusiens conduisant à l’audience des accusés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Le parc automobile réservé à cette institution est de plus en plus clairsemé. Dans les couloirs du tribunal, il n’y a plus de bousculades d’avocats. « Nous nous approchons de la fin de notre mandat », expliquait le président du TPIR, le juge Vagn Joensen, en présentant un rapport en octobre dernier à l’Assemblée générale de l’ONU. Le TPIR entame en effet son avant-dernière année après avoir terminé tous ses procès en première instance et la plupart des appels.

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Nul n’est au-dessus de la loi

Le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité de l’ONU décidait, dans sa résolution 955, de créer le TPIR. Selon la résolution, le tribunal a pour mandat de « juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’Etats voisins, entre le 1erjanvier et le 31 décembre 1994 ». Depuis l’adoption de ce texte historique, le TPIR a officiellement mis en accusation 92 personnes, dont 83 ont été appréhendées grâce au travail des limiers conduits par les quatre procureurs qui se sont succédé à ce jour au tribunal.

Parmi les personnes arrêtées, figurent 15 membres du gouvernement intérimaire en place pendant le génocide, une équipe qui comprenait en tout 19 figures, toutes de l’ethnie hutue. Généraux, hommes d’église, universitaires, homme d’affaires ont été également arrêtés, sans oublier des hommes des médias comme l’Italo-Belge Georges Ruggiu, seul non-Rwandais, à avoir été inculpé dans le dossier rwandais. Pour le porte-parole du tribunal, Roland Amoussouga, le fait d’avoir traduit en justice« des accusés de ce calibre est de nature à soutenir l’adage selon lequel nul n’est au- dessus de la loi ». Depuis l’ouverture du premier procès le 9 janvier 1997, le tribunal a rendu 55 jugements de première instance concernant 75 personnes. Les procédures d’appel ont été achevées pour 44 d’entre elles. Par ailleurs, 9 accusés sont passés aux aveux, ce qui leur a valu de substantielles réductions de peines à l’exception du Premier ministre Jean Kambanda qui a écopé de la perpétuité après avoir reconnu sa responsabilité. Le chef du «gouvernement des sauveurs » purge actuellement sa peine au Mali avec d’autres condamnés du TPIR. D’autres encore sont emprisonnés au Bénin.Sept appels impliquant 17 personnesAprès avoir bouclé l’année dernière les procès en première instance, le TPIR planchera en 2013 et 2014 sur les derniers appels, soit 7 affaires impliquant en tout 17 anciennes personnalités. Quatre de ces procès sont collectifs tandis que les autres sont à accusé unique. La plus avancée de toutes ces affaires regroupe les anciens ministres du Commerce Justin Mugenzi et de la Fonction publique Prosper Mugiraneza, tous condamnés à 30 ans de réclusion en première instance. Selon le calendrier de la chambre d’appel, l’arrêt sera rendu le 4 février. Dans les autres affaires, les audiences d’appel n’ont pas encore été programmées. La procédure est ralentie par des problèmes de traduction de documents, surtout de l’anglais vers le français, la langue de travail des personnes jugées. En dépit de ces difficultés auxquelles s’ajoute le départ d’employés expérimentés, le juge Joensen reste confiant que les appels encore pendants « seront terminés vers fin 2014 », avec sept personnes fixées sur leur sort courant 2013 et dix autres l’année prochaine. Le plus célèbre et le plus complexe de ces procès en appel concerne l’ex-ministre de la Famille, Pauline Nyiramasuhuko, et cinq autres condamnés parmi lesquels son fils Arsène Shalom Ntahobali. Seule femme à avoir été inculpée par le TPIR, Nyiramasuhuko a été reconnue coupable, entre autres crimes, d’entente en vue de commettre le génocide et viols. Vient ensuite le procès de quatre anciens officiers des Forces armées rwandaises (FAR), dont les anciens chefs d’état-major de l’armée et de la gendarmerie, les généraux Augustin Bizimungu et Augustin Ndindiliyimana. Le dernier procès groupé implique Matthieu Ngirumpatse et Edouard Karemera, respectivement ancien président et ancien vice-président du MRND, le parti de l’ex-chef de l’Etat Juvénal Habyarimana. Les trois autres affaires concernent un ancien ministre, un capitaine et un ancien maire.Le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationauxPour sa part, l’ex-ministre du Plan Augustin Ngirabatware condamné à 35 ans de réclusion le 20 décembre comparaîtra en appel devant une autre institution : le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI) créé par le Conseil de sécurité en décembre 2010. Structure devant assurer les fonctions résiduelles du TPIR et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le MTPI a ouvert ses travaux le 1er juillet dernier, avec sa branche d’Arusha. Celle de La Haye, pour l’héritage du TPIY, entrera en fonction le 1er juillet prochain. Selon la résolution 1966 du 22 décembre 2010, le Mécanisme a compétence pour les appels initiés après juin 2012. Le MTPI est également chargé de rechercher et juger trois des neuf accusés encore en fuite, conserver et gérer les archives, superviser l’exécution des peines, poursuivre la protection des témoins et victimes. De toutes ses fonctions, la plus ardue sera la traque des trois « fugitifs de très haut niveau» : le richissime homme d’affaires Félicien Kabuga considéré comme le principal argentier du génocide, l’ancien ministre de la Défense Augustin Bizimana et le major Protais Mpiranya qui commandait la garde de l’ex-président Juvénal Habyarimana. Hassan Bubacar Jallow, procureur du TPIR et du MTPI, y est revenu dans son allocution du 1er juillet 2012. «En créant le MTPI, a rappelé le magistrat gambien, le Conseil de sécurité a une nouvelle fois appelé les Etats membres à coopérer pour l’arrestation des trois accusés. Je voudrais réitérer cet appel et souligner le fait que les efforts de la justice pénale internationale n’auront pas été entièrement fructueux aussi longtemps que les leaders du génocide n’auront pas été arrêtés». Le 5 décembre dernier, dans son tout premier rapport au Conseil de sécurité, le juge Theodor Meron, président du MTPI, abondait dans le même sens. «L’arrestation et le jugement de ces trois fugitifs est une première priorité pour le Mécanisme », martelait le magistrat américain.ER/JC