09.04.14 - TPIR/BILAN - VINGT ANS APRES LE GENOCIDE, LE TPIR SE FELICITE D’AVOIR JUGE LA PLUPART DES MEMBRES DU GOUVERNEMENT INTERIMAIRE

Arusha, 09 avril 2014 (FH) – Même si son bilan ne fait pas l’unanimité, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est crédite d’avoir, 20 ans après le génocide des Tutsis, jugé la plupart des membres du gouvernement intérimaire hutu mis en place en avril 1994, dont le Premier ministre Jean Kambanda.

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Selon le juriste canado-togolais, Roland Amoussouga, ancien porte-parole du TPIR, le fait d’avoir traduit en justice « des accusés de ce calibre » prouve que « nul n’est au-dessus de la loi ».S’adressant à l’ensemble du personnel en février dernier, le procureur du TPIR, Hassan Bubacar Jallow, également procureur du Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI) se félicitait lui aussi d’un « processus qui a vu les principaux auteurs du génocide rendre compte » de leurs actes.Même avis de la part du sociologue français André Guichaoua qui a été entendu comme expert dans plusieurs affaires au TPIR. « Le bureau du procureur, les juges et le personnels ont jugé les principaux auteurs du génocide, créé une jurisprudence et fixé des niveaux d'exigence en matière de justice et de vérité », déclarait l’universitaire dans un entretien avec l’Agence Hirondelle, en décembre 2013. « Depuis lors, d'autres pays, d'autres massacres sur le continent africain ou ailleurs ont donné lieu à des poursuites internationales. Là réside l'essentiel », ajoutait Guichaoua, admettant cependant qu’ « au terme de près de vingt années d'activité, le bilan quantitatif et qualitatif du TPIR peut susciter bien des réserves ».Entré en fonction le 9 avril 1994, le gouvernement intérimaire comprenait le président Théodore Sindikubwabo, le Premier ministre Jean-Kambanda et 19 ministres, dont plusieurs étaient reconduits pour la première ou la deuxième fois.Considéré comme décédé dans son exil dans l’ex-Zaïre, le président intérimaire ne fait l’objet d’aucun acte d’accusation connu au TPIR, mais tout porte à croire qu’il serait en bonne place sur la liste des accusés en fuite, s’il était encore en vie.En effet, son nom revient dans presque tous les actes d’accusation avec le célèbre discours qu’il prononça le 19 avril 1994 lors de l’investiture du nouveau préfet de Butare (sud), Sylvain Nsabimana.

Gukora (travailler en langue rwandaise)

Selon plusieurs experts, dont le professeur Guichaoua, le discours de Sindikubwabo, prononcé en langue rwandaise, en présence de la presque - totalité des membres du gouvernement, a embrasé la préfecture de Butare qui était alors relativement épargnée par les massacres.Dans ce discours passé dans l’Histoire, revient très souvent, le verbe « gukora » (travailler en langue rwandaise), signifiant, alors, selon de nombreux experts, « tuer les Tutsis ».Jean Kambanda, pour sa part, est actuellement détenu à la Maison d’arrêt de Koulikoro au Mali. Arrêté à Nairobi, au Kenya, le 18 juillet 1997, l’ancien Premier ministre plaidera coupable, le 01 mai 1998, de tous les six chefs d’accusation portés contre lui, dont entente en vue de commettre le génocide, génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide.En dépit de ses aveux, cet économiste sera condamné  à la perpétuité le 4 septembre 1998. Selon le jugement, « Jean Kambanda reconnaît avoir, en sa qualité de Premier Ministre, suite aux nombreuses réunions du conseil des ministres qui ont eu lieu entre le 8 avril et le 17 juillet 1994, incité, aidé et encouragé des préfets, des bourgmestres (équivalent de maires en France :ndlr) et des membres de la population à commettre des massacres et des assassinats de civils, en particulier de Tutsis et de Hutus modérés ». « En outre, poursuit le texte, entre le 24 avril et le 17 juillet 1994, Jean Kambanda et des ministres de son gouvernement se sont rendus dans plusieurs préfectures telles que Butare, Gitarama, Gikongoro, Gisenyi et Kibuye pour inciter et encourager la population à commettre ces massacres, notamment en félicitant les personnes ayant commis ces tueries ».Déçu de se voir infliger la perpétuité alors qu’il s’attendait à une peine réduite, l’ancien patron des banques coopératives du Rwanda fera appel, main en vain : le jugement et la peine seront confirmés.Qualifié de traître par ses anciens ministres, il affirme aujourd’hui avoir été victime d’une supercherie montée par son avocat Oliver Michael Inglis et le procureur adjoint de l’époque, le Camerounais Bernard Muna.

La seule femme à avoir été mise en accusation par le TPIR

Dans son livre « Rwanda face à l’apocalypse », publié l’année dernière, Kambanda revient sur ses aveux de 1998 et reconnaît seulement l’échec de son gouvernement à assurer la sécurité de tous les Rwandais. «L’homme que je suis n’a commis aucun crime contre aucun individu. Je plaide coupable d’avoir dirigé un gouvernement qui n’a pas été capable de protéger son peuple, l’ensemble de son peuple, et non pour un quelconque acte criminel que j’aurais personnellement commis ou commandité », écrit-il. En plus de l’ancien Premier ministre, 13 autres membres du gouvernement intérimaire ont comparu devant le TPIR, dont trois ont été condamné définitivement comme lui, six acquittés tandis que quatre sont en instance d’appel.Ont été condamnés définitivement les anciens ministres de l’Information Eliézer Niyitegeka, et l’Enseignement supérieur Jean de Dieu Kamuhanda et des Finances Emmanuel Ndindabahizi.Parmi les six acquittés, figure l’ancien ministre du Commerce Justin Mugenzi pour qui ces  déclarations de non-culpabilité prouvent « le gouvernement intérimaire n’ a ni préparé, ni supervisé le génocide ».L’ancienne ministre de la Famille Pauline Nyiramasuhuko, seule femme mise en accusation par le Tribunal et première femme à avoir été poursuivie pour génocide devant la justice pénale  internationale, fait partie des quatre en instance d’appel.Le TPIR, qui doit fermer ses portes le 31 décembre prochain,  n’a cependant pas encore réussi à mettre la main sur l’ancien ministre de la Défense Augustin Bizimana, seul de son rang sur la liste des neuf accusés en fuite. Selon certaines sources, il serait mort au Congo-Brazzaville, ce que conteste le bureau du procureur au TPIR.Pour leur part, les tribunaux rwandais ont jugé l’ancienne ministre de la Justice, Agnès Ntamabyariro, condamnée à la perpétuité. Lors d’un témoignage au TPIR en 2006 pour la défense de Mugenzi, elle avait affirmé avoir été kidnappée par l’armée rwandaise en 1997 en Zambie.Les quatre ex-ministres restants, encore libres notamment en Europe, ne sont pas recherchés par le TPIR, mais selon des sources à Kigali, le Rwanda aurait lancé des mandats d’arrêt contre eux.ER