14.12.07 - TPIR/MEDIAS - AUCUNE ENTENTE DANS L’AFFAIRE DES MEDIAS (ANALYSE)

La Haye, 14décembre 2007 (FH) - La Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), en annulant la plupart des chefs d’accusation dans l’affaire «médias», a notamment déclaré que Ferdinand Nahimana, Hassan Ngeze et Jean-Bosco Barayagwiza n’étaient pas coupables d’entente en vue de commettre le génocide. Pour la première fois, les juges avaient, en première instance, basé le crime d’entente en vue de commettre le génocide sur l’existence d’une coordination institutionnelle.

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La concertation avait été établie en l’occurrence entre la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM), le journal Kangura et le parti politique de la Coalition pour la défense de la république (CDR).

Dans leur jugement du 3 décembre 2003, ils avaient conclu que les accusés avaient « sciemment agi de concert, en utilisant les institutions qu’ils contrôlaient, pour promouvoir un programme commun, à savoir cibler la population tutsie pour la détruire ». Ils les ont déclarés coupables d’entente pour avoir «collaboré personnellement » et parce qu’«il y a eu interaction entre les entités qu’ils contrôlaient, à savoir la RTLM, Kangura et la CDR ».

La Chambre d’appel, si elle admet qu’à partir des éléments factuels il pouvait être conclu qu’il existait une entente directe entre les appelants voire un « programme commun » aux institutions dans le but de commettre le génocide, estime que ce n’étaient pas les seules conclusions possibles et donc, n’a pas retenu la culpabilité.

En l’absence de preuve directe, ont rappelé les juges d’appel, si le Procureur veut conclure à une responsabilité pénale « sur la base d’un ensemble d’éléments de preuve circonstanciels, la conclusion qu’il existe une entente en vue de commettre le génocide doit être la seule conclusion raisonnable qui se dégage de l’ensemble des faits établis ». Selon eux il pouvait être aussi conclu, à partir des mêmes faits, que « les appelants avaient collaboré et s’étaient entretenus pour défendre l’idéologie « Hutu Power » (…), voire pour propager la haine ethnique contre les Tutsis sans toutefois aller jusqu’à leur destruction en tout ou partie ».

Les éléments constitutifs du crime d’entente en vue de commettre le génocide, qui est un des actes qualificatif du génocide selon l’article 2 (3) (b), ont été définis au fur et à mesure des jurisprudences. Un arrêt du 7/7/07 dans l’affaire Ntagerura et consorts a défini l’entente comme « une résolution d’agir sur laquelle au moins deux personnes se sont accordées, en vue de commettre le génocide ». C’est la résolution d’agir concertée, qui peut être un accord tacite selon la Chambre d’appel, qui constitue l’élément matériel de l’infraction.

Depuis l’arrêt Rutaganda (26/5/03), la jurisprudence pénale internationale exclut toute forme de responsabilité « en application de la théorie de culpabilité par association notamment par similarité de conduite ». Fernand Nahimana et Hassan Ngeze s’étaient basés, entre autres, sur cette théorie du « parallélisme conscient » pour tenter de se disculper.

« Le fait que des individus réagissent simultanément et de la même façon face à une situation commune ne prouve nullement l’existence d’une entente préalable et d’un plan concerté » ont fait valoir leurs avocats. Mais les juges d’appel n’ont pas considéré que la Chambre de première instance les ait déclarés coupables par association ou en raison de la similarité de leur conduite.

L’élément moral, dégagé clairement dans les jugements Musema (27/1/00) et Niyitegeka (16/5/03), est qualifié par l’intention, dont sont animés les individus parties à l’accord, de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. L’élément moral qui est le même que celui de l’infraction principale, le génocide, doit exister avant la commission des actes.

Dans ces deux jugements la Chambre de première instance a précisé que l’infraction d’entente est répréhensible même si elle n’a pas été suivie d’effet. L’entente est une infraction formelle, donc punissable en soi, même si l’infraction principale, en l’occurrence le génocide, n’a pas été perpétrée.

La résolution d’agir de façon concertée, qui qualifie l’entente en vue de commettre le génocide, fait directement référence à la planification du génocide. Mais cette dernière n’est pas prévue en tant que telle dans le statut du TPIR. Pour les juges de droit pénal international, l’existence d’un plan précis n’est pas requise (affaire Kayishema et Ruzindana, (21/5/99).

Au contraire, la France, par exemple, considère que la planification fait partie intégrante de la définition du génocide. La destruction totale ou partielle du groupe protégé doit se réaliser « en exécution d’un plan concerté » (article 211-1 du Code pénal). L’existence de ce plan concerté devra être établie.

Jusqu’à présent 17 personnes ont été ou sont poursuivies par le TPIR pour entente en vue de commettre le génocide. Onze ont été acquittées de ce chef d’accusation. Seuls deux accusés, Jean Kambanda et Eliezer Niyitegeka, ont été condamnés (trois affaires poursuivant l’entente sont encore en cours).

AV/PB/GF