Togo : la torture, une façon de gouverner

Togo : la torture, une façon de gouverner©Flickr/Chaplain Don Russell
La Prison Civile de Lomé au Togo
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 Au Togo, les actes de torture sont monnaie courante dans les lieux de détention officiels ou secrets. Et tenter de dénoncer ces pratiques est un exercice extrêmement périlleux : ceux qui ont le courage d'élever la voix n'ont de salut que dans l'exil. Alors que les chefs des tortionnaires sont récompensés par des promotions.

 Courante durant les 38 ans de règne de Gnassingbé Père, la torture reste une façon de gouverner sous son fils au pouvoir depuis 11 ans. Longtemps silencieuse ou résignée, c'est surtout à partir de septembre 2011 que la société togolaise commence à dénoncer avec force cette pratique inhumaine.
L'origine de ce mouvement de protestation remonte à avril 2009. Une trentaine de personnes, dont le demi-frère du président et plusieurs militaires, sont arrêtés. Accusés de mijoter un projet d'atteinte à la sureté de l'Etat, ils resteront plus de deux ans en détention, souvent au secret et dans des conditions inhumaines. Lorsqu'ils sont enfin présentés devant les juges de la Cour spéciale, c'est essentiellement le procès des actes de torture subis en détention qui sera fait. L'issue du procès ne permettra pas de faire toute la lumière ni sur le fond du dossier, ni si les allégations des détenus.
Pressés par la défense de suspendre le procès et d'ouvrir des enquêtes sur les allégations de torture, conformément à la procédure, les juges fuient leurs responsabilités. Ils recommandent au gouvernement de commanditer plus tard une enquête sur le sujet.
Cette enquête sera confiée à la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH), dirigée par un magistrat nommé par le gouvernement. Après plusieurs mois d'investigations, un rapport, attribué à la Commission et battant en brèche toutes les allégations, est publié sur le site du gouvernement. Mais, coup de théâtre ! Koffi Kounté, le président de la CNDH dénonce la publication d'un rapport tronqué. Il publie, le même jour, sur le site de son institution, son vrai rapport qui, cette fois, confirme les allégations de tortures. Sous les menaces de ceux que la presse a qualifiés de « sécurocrates » (allusion aux apparatchiks du pouvoir), Koffi Kounté fuit le pays pour se réfugier en France en février 2012.

 

« Menaces ouvertes »

 

Le courage de ces détenus, qui ont osé dénoncer haut et fort les actes de torture subis lors de leur détention, a marqué un tournant dans la lutte contre ces traitements inhumains et dégradants. Sortis de prison, ils ne s'arrêtent pas là. « On a décidé de créer une Association pour défendre les victimes de torture au Togo », se rappelle Kao Atcholi, ex-élève gendarme, aujourd'hui secrétaire général de l'Association des Victimes de Torture au Togo « Asvitto».
En l'absence du président de l'organisation, l'ancien commandant de gendarmerie Olivier Amah qui a dû se mettre à l'abri à l'étranger, Kao Atcholi assure l'intérim à la tête de l'organisation pionnière de la défense des victimes de torture au Togo. Il n'oublie pas comment « le pouvoir était déterminé à empêcher la naissance de l'Asvitto ». « Ils m'ont proposé à moi-même tantôt de l'argent, tantôt de me recruter à l'aéroport (puisque j'ai fait la géographie à l'Université), et comme je résistais à tout cela, ils ont procédé par des menaces ouvertes », confie l'activiste.
Aujourd'hui, l'Assvito est une organisation déclarée auprès des services de l'Etat. Mais cette association qui revendique l'adhésion de plusieurs dizaines de victimes de torture dont d' anciens militaires et des militants de l'opposition, peine toujours à obtenir sa reconnaissance officielle par le gouvernement. « Récemment encore, on a dit au ministère en charge de l'Administration territoriale que ce n'est pas la peine de mener des démarches pour l'obtention de notre récépissé car aucun ministre ne prendra le risque de nous le délivrer », relève M. Atcholi.
Parmi les opposants victimes de torture, le cas d'Amétépé Kofi semble emblématique. Interpellé lors d'une manifestation publique en août 2012 et conduit avec d'autres dans un camp militaire situé dans une banlieue de la capitale, il déclare avoir été torturé par des militaires. Parmi ses bourreaux, il cite un certain Félix Katanga, alors Chef du Corps des Forces d'Intervention Rapide (FIR), une unité d'élite de l'armée.

Séquestré après une plainte auprès de la Cour de la CEDEAO

Avec l'appui du Collectif des Associations pour la lutte contre l'Impunité, une ONG de défense des droits de l'Homme, Amétépé dépose une plainte pour torture devant la Cour de Justice de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). « Alors que le sieur Amétépé était attendu par la Cour communautaire, lors de l'audience du 19 janvier 2016, pour être entendu sur les allégations de torture et de mauvais traitements évoquées par son conseil Me Ata Messan Zeus AJAVON, ce dernier (Amétépé : ndlr) est resté introuvable à partir de l'après-midi du 15 janvier », relate le Collectif des Association de lutte Contre l'Impunité au Togo (CACIT), dans un communiqué daté du 29 février.
« D'après les propos du sieur Amétépé reçu au siège du CACIT le 05 février, ce dernier a fait cas de son enlèvement le soir du 15 janvier 2016 et de sa séquestration pendant deux semaines dans une chambre, portes et fenêtres closes. Il dormait et était nourri par une ouverture située sur le bas de la porte. Il allègue avoir été libéré dans la nuit du mercredi 03 février 2016 aux environs de une (1) heure du matin déposé au campus universitaire de Lomé », ajoute le communiqué.
Cet enlèvement qui semblait vouloir empêcher la victime d'aller témoigner devant la cour régionale basée au Nigéria, n'a pas pour autant atteint son objectif. Avec plusieurs jours de retard certes, Amétépé a pu enfin se rendre au Nigéria et être entendu par la Cour de justice de la Cedeao, qui devrait rendre son jugement dans les prochains jours.
Mais à Lomé, l'on se moque en haut lieu de cette procédure devant la Cour régionale et encore plus des procédures devant les juridictions nationales. Car, l'un des bourreaux d'Amétépé, le fameux Félix Katanga, a été promu, entretemps, Général Chef d'Etat-Major Général des Armées au Togo. Pour sa part, l'ancien patron de l'Agence National de Renseignement (ANR), le Colonel Yotroféï Massina est devenu le Directeur de la Gendarmerie nationale, comme pour le récompenser pour « les bons et loyaux services » rendus durant la détention de la trentaine de putschistes présumés de 2009.
La promotion de ces deux haut-gradés de l'armée et de plusieurs autres officiers et subalternes cités dans des scandales de pratiques inhumaines et dégradantes sur des détenus a été abondamment dénoncée par la presse et les organisations de défense des droits de l'Homme comme étant une prime à la torture. Toujours en vain.