Syrie, Mali : le "nettoyage culturel" une nouvelle arme de guerre

Syrie, Mali : le ©Capture vidéo
Destruction d'un mausolée à Tombouctou en 2012
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A deux mois de l’ouverture du procès d’Ahmad al Faqi al Mahdi, poursuivi pour la destruction des Mausolées de Tombouctou devant la Cour pénale internationale (CPI), la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, est venue plaider à La Haye en faveur de la protection du patrimoine mondial. Pour la diplomate bulgare, il ne s’agit pas d’une simple affaire « de briques et de murs », mais d’un impératif intrinsèquement lié aux crises humanitaires et sécuritaires.

De sa rencontre d’août 2014 au nord de l’Irak avec des Yézidis – une minorité ciblée par l’Etat islamique – la directrice générale de l’Unesco était revenue avec une formule choc : « c’est un nettoyage culturel ». Elle résume en deux mots le plaidoyer de la diplomate bulgare. En Syrie, en Irak, en Afghanistan au Mali et ailleurs, la destruction du patrimoine mondial n’est pas « un dommage collatéral » mais « une tactique de guerre ». La patronne de l’agence onusienne, dédiée à la culture et l’éducation, veut que soit incluse la destruction de patrimoine dans les réponses « sécuritaire et humanitaire » de « ces conflit d’un nouveau format ». Devant un parterre d’auditeurs convaincus, réunis au cours d’une conférence organisée dans l’église protestante de Kloosterkerk à La Haye le 13 juin, la directrice générale de l’Unesco rappelle un long chapitre de destructions : 60% de la vieille ville d’Alep a été détruit, comme de celle de Sanaa au Yémen, une partie du site de Palmyre en Syrie, au moins huit sites religieux en Libye, et le plus vieux monastère d’Irak, etc. A l’horizon de ce panorama de destruction, la diplomate voit parfois « la marque d’un projet génocidaire ». Elle se réjouit qu’il n’y ait « de culture pure nulle part », mais regrette que comme une antienne, à chaque conflit « on arrive et on détruit l’autre. Ne sommes-nous pas devenus plus matures ? », s’inquiète-t-elle. La diplomate bulgare, qui aspire à prendre la suite de Ban ki-Moon à la tête des Nations unies, veut y répondre par « le soft power » : la reconstruction, le droit, l’éducation.

Punir et poursuivre

Avec la résolution 2199 adoptée en février 2015 par le Conseil de sécurité des Nations unies visant le financement des groupes terroristes islamistes, l’Unesco a emporté une victoire. Les diplomates onusiens y interdisent sur trois paragraphes le commerce d’œuvres d’art par l’Etat islamique et les groupes liés à Al-Qaïda. Pour la première fois, le Conseil de sécurité liait culture et sécurité internationale. Car pour « financer le terrorisme » rappelle la diplomate, « nous voyons des sites pillés à l’échelle industrielle ». Irina Bokova regrette néanmoins le manque d’harmonisation des dispositifs contre le trafic d’œuvres d’art au sein de l’Union européenne, mais se réjouit de la création par l’Unesco, avec Interpol, d’une base de données du trafic. Et s’il n’existe pas de soldats de la paix pour protéger la culture, de casques bleus du patrimoine, l’Unesco a remis aux soldats français déployés dans le nord du Mali un « passeport culturel », cartographiant les sites historiques du pays. Mais le « soft power », c’est aussi punir. Lors de la destruction des Mausolées de Tombouctou, au début de l’été 2012, « j’ai envoyé une lettre à la procureure Fatou Bensouda et nous avons fourni des témoignages. Je pense qu’il est important de montrer que l’impunité ne passera pas », explique-t-elle à une poignée de journalistes. Le procès du touareg malien Ahmed Al Faqi Al Mahdi, dit Abou Tourab, doit débuter à La Haye le 22 août. L’ancien chef de la Hesbah, la brigade des mœurs de Tombouctou, est accusé d’un crime de guerre pour la destruction de la porte de la mosquée Sidi Yahia et de neuf des quatorze mausolées de la « cité des 333 saints » détruits par les djihadistes d’Ansar Dine et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) lors de l’occupation du nord du Mali, entre avril 2012 et janvier 2013. Deux jours avant le début de la destruction des monuments, le 30 juin 2012, la « perle du désert » avait été inscrite sur la liste du patrimoine en péril de l’Unesco. Selon l’accusation, c’est Abou Tourab qui sélectionne alors les hommes, fourni les pics, les barres de fer, et les burins pour détruire les monuments, et affirme à la population agir sur ordres du « Messager ». Lors d’une audience à huis clos devant la Cour le 1er mars, Abou Tourab a déclaré vouloir « plaider coupable » des crimes reprochés. Aux juges, son avocat, Mohamed Aouini a assuré que son client « acceptait toutes les conséquences de sa participation dans les groupes armés » et souhaitait « demander la grâce des habitants de Tombouctou et des Maliens ».

S’exprimant lors de cette conférence organisée par la Fondation Europe lecture, la présidente de la CPI, Silvia Fernandez de Gurmendi, a rappelé que le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a prononcé plusieurs jugements condamnant la destruction de patrimoine, comme celui contre le général monténégrin Pavle Strugar pour les bombardements de la vieille ville de Dubrovnik, perle de l’Adriatique. Mais « la CPI n’est pas universelle » rappelle-t-elle et ne peut enquêter sur les crimes commis en Irak et en Syrie, qui n’ont pas ratifié son traité, deux pays où l’Unesco voudrait une intervention de la Cour. Pour s’introduire dans ce conflit, la procureure ne dispose que d’une porte qu’elle a jusqu’ici jugée trop étroite : celle des combattants étrangers, ressortissants d’Etat membres de la Cour partis combattre en Irak et en Syrie et contre lesquels elle pourrait engager des poursuites.

Reconstruire, c’est résister

Trois ans après leur destruction, les mausolées de Tombouctou ont été reconstruit presque à l’identique. De retour dans « la perle du désert » en juillet 2015, Irina Bokova raconte avoir « eu l’impression que nous avions redonné leur dignité aux habitants de Tombouctou. Comme nous l’avons fait à Mostar ». Le vieux pont séparant quartiers croate et bosniaque de la ville avait été détruit au cours des guerres d’ex-Yougoslavie (1991-1995). En reconstruisant le pont, « il y avait le désir de répondre à la haine » dit Mme Bokova. Mais la question n’est pas sans débat. Détruits par les Talibans en 2001, les bouddhas de Bâmiyân datant du VIème siècle, n’ont toujours par retrouvé leurs visages. Et la reconstruction du site de Palmyre en Syrie, dont certaine partie ont été détruites par l’Etat islamique en 2015 fait elle aussi débat. Trop tôt, juge Irina Bokova. « Comment peut-on reconstruire quand il n’y a plus de tissu social ? » demande-t-elle.