Côte d'Ivoire : l'Ivoirité soumise à référendum

Côte d'Ivoire : l'Ivoirité soumise à référendum©Flickr
Kiosque à Abidjan
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 Les Ivoiriens sont appelés aux urnes dimanche pour se prononcer sur un projet de nouvelle constitution, qui règle notamment la question de l'ivoirité contestée de l'actuel président Alassane Ouattara. L'opposition annonce cependant des mouvements populaires pour empêcher la tenue de cette consultation populaire.

La principale modification apportée par ce nouveau texte soumis à l'approbation des Ivoiriens concerne les conditions d'éligibilité à la présidence de la République. Selon ce nouveau projet de constitution, il suffit, pour pouvoir briguer la magistrature suprême du pays, que l'un des parents du candidat soit ivoirien d'origine alors que le texte actuel, jugé source de conflits, stipule que celui qui aspire  à la présidence de la République « doit être ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Il doit n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s'être jamais prévalu d'une autre nationalité ».

Le débat sur l'ivoirité vise notamment l'actuel président Alassane Drahmane Ouattara, ex-Premier ministre d'Houphouët Boigny, le père de l'indépendance de la Côte d'Ivoire.

Dans son livre ''Les chemins de ma vie'' (Plon, 1999), l'ex président ivoirien Henri Konan Bédié, tentait d'expliquer que l'actuel chef de l'Etat n'avait pas droit de prétendre présider aux destinées de la Côte d'Ivoire. « Ouattara était Burkinabé par son père et il possédait toujours la nationalité  du Burkina Faso, il n'avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession. ». Alassane Ouattara,  dont la mère, Nabintou Cissé, est d'origine ivoirienne, n'a jamais démenti son affiliation burkinabè. Dans le même livre, Bédié répartissait les Ivoiriens en deux catégories : « les peuples enracinés en Côte d'Ivoire » et « ceux qui y vivent et y travaillent en partageant nos valeurs ».

Selon plusieurs analystes politiques, cette discrimination constitutionnalisée est à l'origine des crises successives qui ont secoué ces dernières années la Côte d'Ivoire, un pays qui jadis devait en partie sa relative prospérité à une politique d'ouverture et d'intégration. Pour Alassane Ouattara, le projet de nouvelle constitution vise ainsi à stabiliser le pays. « L'esprit de cet avant-projet de Constitution est de renforcer la cohésion sociale, d'assurer et de garantir, à notre pays, la paix et la stabilité, l'égalité entre nos populations, la modernité et le développement pour le bien-être de chaque Ivoirien. C'est aussi l'occasion de tourner définitivement la page des crises successives que notre pays a connues, d'écrire de nouvelles pages de notre histoire en proposant un nouveau pacte social qui consacrera l'avènement de la troisième République », a –t-il expliqué le 5 octobre devant les députés à l'Assemblée nationale. Le chef de l'Etat compte sur le soutien du chef ce Parlement, Guillaume Soro, qui indique avoir été associé à l'élaboration de ce projet de constitution. Alassane Ouattara est également fort de l'appui de son ennemi de naguère, Henri Konan Bédié, qui a tourné casaque entre-temps. Lors du meeting de lancement de la campagne référendaire au stade Félix Houphouët Boigny d'Abidjan, le samedi 22 octobre, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, les deux ennemis jurés d'hier, ont appelé à voter ''Oui'' au référendum du 30 octobre avec un score de 96%.

Parmi les autres changements soumis aux Ivoiriens, figurent la création d'un sénat et l'institution d'un poste de vice-président de la République.

 

« Constitution mort-née »

 

Le front des adversaires à ce projet de nouvelle constitution est mené par le Front populaire ivoirien (FPI) du prédécesseur d'Alassane Ouattara, l'ex-président Laurent Gbagbo actuellement en procès devant la Cour pénale internationale (CPI). « Cette Constitution est mort-née. Ce qui va se passer ne nous concerne pas ; c'est pourquoi nous avons demandé à nos militants de rester chez eux le 30 octobre et de vaquer à leurs occupations», a déclaré lors d'une récente rencontre avec la presse, le président du FPI Pascal Affi N'guessan. Arguant qu'il n'y a pas eu d'assemblée constituante, que l'opposition et la société civile n'ont pas été consultées, il affirme que le vote ne va faire qu’entériner la volonté de la coalition au pouvoir mais ne se prononce pas clairement sur le concept de l’ivoirité.

Plus radical, Aboudramane Sangaré, ancien vice-président du FPI qui conteste la légitimité d’Affi N’guessan à la tête de ce parti et se présente comme le président intérimaire de la formation politique de Laurent Gbagbo, est allé plus loin en jurant devant des milliers de militants le 22 octobre à Yopougon (Abidjan) qu'il n'y aurait pas de referendum le dimanche 30 octobre. Il a annoncé des mouvements populaires sur l'ensemble du territoire national pour empêcher la tenue de cette consultation populaire. Mais pour le juriste Faustin Kouamé, ancien ministre de la Justice, la sagesse consiste plutôt à aller aux urnes, même si, selon lui, la procédure de révision constitutionnelle a été entachée de vices. Ce juriste constitutionnaliste met en garde contre le boycott qui ne peut que profiter à l'adversaire.