OPINION

La semaine de la justice transitionnelle : les leçons suisse et française

La semaine de la justice transitionnelle : les leçons suisse et française©AFP
Manifestation en Gambie après le départ du dictateur Yahya Jammeh
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L’arrestation cette semaine en Suisse d’un ministre de l’Intérieur gambien est exemplaire des hauts et des limites de la justice internationale. Tout comme l’interpellation en France, d’un ancien premier ministre du Kosovo.

Ousman Sonko interpellé à Berne pour « crimes contre l’humanité » a été pendant plus de 10 ans ministre de l’Intérieur du dictateur gambien fantasque et brutal  Yahya Jammeh. Il a été arrêté sous la pression d’une ONG suisse Trial International qui a constitué un dossier l’accusant notamment de « tortures ». Dans une interview à JusticeInfo.net,  Bénédict De Moerloose, responsable de la division des enquêtes criminelles à Trial International explique : « En tant que ministre de l’Intérieur de la Gambie, de 2006 à 2016, Sonko était responsable de la police et des centres de détention. La police a été accusée d’actes de torture à grande échelle ayant visé en particulier dissidents, opposants et journalistes, ainsi l’accusation c’est la torture, en tant qu’auteur direct ou complice. Toutefois, les services chargés des enquêtes au canton de Berne ont maintenant requalifié les crimes allégués en crimes contre l’humanité, ce qui veut dire que le dossier pourrait être renvoyé devant les autorités fédérales ».

Donc sans préjuger des suites de l’enquête suisse, d’un procès et éventuellement d’un verdict, l’Etat suisse et la société civile représentée par Trial International ont rempli leur rôle.

Mais quid de Yahah Jammeh, lui-même, réfugié aujourd’hui en Guinée Equatoriale. Le Président déchu chassé par les urnes dont il avait récusé l’issue et par les armées de la CEDEAO espère échapper à la justice des hommes. Dans un communiqué commun, la CEDEAO, l’ONU et l’Union Africaine accordent en effet l’impunité au dictateur et à sa famille. Le porte-parole du nouveau Président Adama Barrow a laissé entendre que les Gambiens n’avaient pas intérêt à trop fouiller dans leur passé douloureux et sanglant. Mais, juristes et représentants de la société civile estiment que ce mémorandum d’accord n’est pas contraignant en droit et rappellent qu’Hissène Habré a finalement été jugé en Afrique par des Africains 25 ans après avoir trouvé un refuge doré à Dakar.

Ultime ruse de l’histoire, Yahah Jammeh avait décidé de retirer son pays de la Cour Pénale Internationale qui a mandat pour poursuivre les crimes contre l’humanité et dont la procureure est elle-même une ancienne ministre de la Justice du dictateur gambien.

Casse-tête du Kosovo 

La France aussi a réveillé une ancienne affaire en arrêtant l’ex premier ministre du Kosovo Ramus Haradinaj. Ancien videur de boîte de nuit, Ramush Haradinaj était le chef de l’Armée de libération du Kosovo (ALK) durant le conflit avec la Serbie en 1998. Sorti victorieux de la guerre, , deux fois acquitté par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le Kosovar a été arrêté en France le 4 janvier 2017, à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, sur la base d’un mandat d’arrêt émis par la Serbie, qui demande son extradition. Selon Belgrade qui ne reconnaît pas le Kosovo et pour qui Haradinaj est un citoyen serbe le Premier ministre est poursuivi pour d’autres crimes que ceux pour lesquels il a été acquitté. La France a 40 jours pour se sortir de ce casse-tête diplomatique et juridique.

La République Centrafricaine reste un cas d’école des échecs de la justice transitionnelle et des processus de réconciliation. Dans une interview à JusticeInfo.net, Balkissa Ide Siddo, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnesty International, explique : « Il est impératif que les autorités centrafricaines, avec l’appui de la communauté internationale, intensifient leurs efforts pour mettre un terme à l’impunité et établir les responsabilités afin de rompre avec le cycle de la violence et l’injustice ». Selon Amnesty International, qui vient de publier un rapport sur la RCA nombre de personnes accusées et présumées coupables de crimes de guerre ou contre l’humanité « occupent des positions de pouvoir ou d’influence ».

Au Togo blocage

Enfin, le blocage du processus de réconciliation se perpétue au Togo où le gouvernement refuse de donner des moyens suffisants à la Commission Vérité et Justice. Le correspondant de JusticeInfo.net Maxime Domagni écrit : « La raison de ce blocage : l’essentiel des faits de violences est imputable au régime (ou à ses milices) qui dirige le pays depuis un demi-siècle et qui, pour continuer par s’imposer aux Togolais, a souvent recours des scénarios sanglants. Et comme on l’a vu dans tous les pays en transition en Afrique ou ailleurs, le processus de réconciliation au Togo n’aura de chance d’aboutir que s’il est précédé d’une l’alternance au pouvoir. »