Cour Pénale Internationale : qui surveille le shérif ?

Cour Pénale Internationale : qui surveille le shérif ?©Credit: ICC Review Conference
Le procureur de la CPI qui s'exprime à l'ouverture de la conférence de révision à Kampala, le 31 mai 2010
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Depuis quelques semaines, un consortium de médias, l’European Investigative Collaborations (EIC) dont Mediapart fait partie, a dévoilé certaines affaires embarrassantes pour la Cour pénale internationale (CPI). Celle-ci a ouvert une enquête interne, suspendu deux de ses collaborateurs, mais les feux se concentrèrent sur l’ancien procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo. Reste qu’au-delà des responsabilités individuelles mises en cause, l’enjeu essentiel que met en lumière ces révélations est la question de la gouvernance de la Cour pénale internationale. Comment, en effet, surveiller le shérif ?

Lorsque Luis Moreno Ocampo arrive à La Haye en 2003, il porte l’espoir d’une justice internationale indépendante et ambitieuse. L’homme sur le papier avait tout pour plaire et c’est pour cela qu’il fut choisi : cet avocat Argentin s’était fait connaître comme procureur, en enquêtant sur des affaires de corruption et de non-respect des droits de l'Homme par des militaires durant la dictature passée dans son pays.

Mais très vite, la stratégie pénale d’Ocampo fait l’objet de vives critiques, que ce soit sur les enquêtes à sens unique sur la Lord’s Resistance Army et non sur les méfaits de l’armée ougandaise, sur l’inculpation pour « crime de génocide » contre le président soudanais Omar el Bashir, sur les poursuites engagées uniquement contre l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, mais non contre les partisans d’Alassane Ouattara. C’est d’ailleurs sur l’enquête ivoirienne de la Cour que se trouve l’accusation la plus grave de Mediapart : le fait que Luis Moreno Ocampo alors procureur de la CPI en 2011 demande la détention de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo alors qu’il n’a pas l’autorisation d’enquêter ni base légale pour le faire.

Quand le procureur se confie à Angelina Jolie

A l’exception peut-être de cette dernière affaire, rien ne permet - jusqu’ici - d’affirmer que Luis Moreno Ocampo a commis des actes illégaux, mais les articles de Mediapart montrent comment l’ex-shérif de la justice internationale a eu un comportement bien loin des règles déontologiques. Son mandat de neuf ans de procureur à peine terminé, Luis Moreno Ocampo, redevenu avocat, va utiliser son savoir-faire et ses contacts pour aider ses clients, dont certains furent ses anciennes cibles.

Ainsi, on découvre Ocampo fournissant des conseils pour trouver une sortie « honorable » au président kenyan, Uhuru Kenyatta, alors que c’était Ocampo lui-même qui l’avait inculpé pour crime contre l’humanité ! On voit encore Ocampo œuvrer en coulisse pour que la CPI inculpe les ennemis du maréchal libyen Khalifa Haftar et tentait de protéger celui-ci et ses soldats de toute poursuite judiciaire, alors que c’est Ocampo lui-même qui avait ouvert une enquête sur les crimes de guerre commis en Libye.

On se pince encore lorsque des documents attestent que l’ex-procureur possédait des comptes offshore au Panama et dans les îles Vierges britanniques, alors qu’il avait été responsable en Amérique latine de Transparency International, une organisation qui lutte contre l’évasion et les paradis fiscaux. Bref, tous ces faits témoignent d’un comportement inapproprié. Etrange aussi de voir celui qui était encore procureur partager des informations confidentielles de la Cour avec … l’actrice Angelina Jolie. Ocampo lui fait part qu’il s’apprête à annoncer la non-ouverture d’une enquête sur les allégations de crimes contre l’armée israélienne et lui transmet le dossier.

D’après les statuts de la CPI, le poste de procureur doit « jouir d'une haute considération morale ». Mieux : « Ni le procureur ni les procureurs adjoints n'exercent d'activité risquant d'être incompatible avec leurs fonctions en matière de poursuites ou de faire douter de leur indépendance. Ils ne se livrent à aucune autre activité de caractère professionnel. » Dans la perspective de la CPI, ces multiples révélations mettent le doigt sur un Ocampogate, mais pour embarrassantes qu’elles soient, elles ne concernent pas l’actuelle procureure, Fatou Bensouda, qui fut cependant le bras droit d’Ocampo.

« Ne conspire pas trop contre l’IOM !!! » 

Les révélations de l’EIC ont provoqué la suspension de deux membres de la CPI et l’ouverture d’une enquête interne. Selon Mediapart, une attachée de presse de la Cour s’était faite rémunérer secrètement par un banquier new-yorkais pour « pousser » un dossier auprès du bureau du procureur, et une chargée de la coopération a transmis à des tiers des informations obtenues du procureur libyen au titre de sa coopération avec la Cour. De quoi démontrer que les garde-fous sur la gouvernance de la Cour de La Haye sont sans doute insuffisants. Selon les documents obtenus par Mediapart, l’ancien procureur Ocampo – encore lui - a, en 2010 et 2011, âprement bataillé pour limiter les pouvoirs de l’organisme de contrôle indépendant de la CPI, l’IOM (“Independent Oversight Mechanism”). Le tout au nom de « l’indépendance » du procureur. Au point qu’en novembre 2011, la présidente de l’Assemblée des États membres de la Cour écrivait à Luis Moreno Ocampo : « Ne conspire pas trop contre l’IOM !!! » 

La justice pénale internationale, et les hommes et les femmes qui l’incarnent, même après la fin de leur mandat, doivent avoir une conduite irréprochable. A l’évidence, aucune disposition n’avait été prise en ce sens lorsque le procureur ou les juges terminent leur mandat. Et les dix-huit juges de la Cour ne sont toujours pas tenus de déclarer leurs avoirs… Pourtant, ce n’est pas le manque de juristes qualifiés qui fait défaut pour mettre en place un contrôle administratif et financier efficace. Le shérif ou l’ex-shérif de la justice internationale ne peut se mettre au-dessus des lois ni d’égarer sa boussole morale.