RDC : le calvaire sans fin des filles enrôlées de force dans les groupes armés

RDC : le calvaire sans fin des filles enrôlées de force dans les groupes armés©Child Soldiers International
Un groupe de filles, parmi lesquelles d'ex-filles soldats, suivent un programme d'alphabétisation dans le Sud Kivu, en 2016
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En République démocratique du Congo (RDC), les quelques filles qui parviennent à s'échapper des griffes des mouvements armés sont rejetées par leurs communautés. Ce qui oblige certaines, traumatisées, à regagner leur ancienne vie de maquis. Pour mettre fin à ce cercle vicieux, l’organisation Child soldiers international vient d’élaborer un guide pratique qui plaide pour l’acceptation communautaire de ces filles associées aux groupes armés. Entretien avec Sandra Olsson, chargée des programmes au sein de cette ONG britannique.

JusticeInfo.Net : Quelle est aujourd’hui l’ampleur du phénomène des jeunes filles associées aux groupes armés en République Démocratique du Congo ?

Sandra Olsson: C’est un phénomène qui persiste au Congo. Certes, il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre de jeunes filles qui ont été ou sont encore associées aux groupes armés en RDC. Mais de janvier 2009 à novembre 2015, sur 8.546 enfants anciennement associés à des groupes armés et enregistrés par la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), il y avait 600 jeunes filles (7% du total). La MONUSCO estime toutefois que les filles constituent un pourcentage bien supérieur (de 30 à 40%) de la totalité des enfants associés aux groupes armés en RDC. Ces chiffres suggèrent que l’efficacité des efforts de démobilisation en RDC reste très limitée en ce qui concerne les jeunes filles. La majorité des jeunes filles n’ont pas été officiellement démobilisées mais se sont échappées. La plupart indiquent qu’elles laissent « beaucoup d’autres filles » derrière elles lorsqu’elles quittent le groupe armé. C’est un phénomène qui est loin de s’arrêter. Car nous savons aussi que le recrutement (d’enfants par des groupes armés, Ndlr) persiste dans le Nord- Kivu, surtout à Walikale. Dans le Sud- Kivu, il y a des informations sur le recrutement à Fizi et dans les Hauts Plateaux de Minembwe. Des centaines d’enfants ont aussi été recrutés dans les Kasaï récemment et la LRA (Armée de résistance du Seigneur de l’Ougandais Joseph Kony, Ndlr) continue d'enlever les enfants  en Haut-Uélé.

Comment expliquer que bien peu de filles quittent les groupes armés ?

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il est souvent plus difficile pour les jeunes filles que pour les garçons de quitter des groupes armés. Mais ce qui nous a frappés pendant la recherche, c'est que beaucoup de jeunes filles ne tentent même pas de s'échapper même s'il y a une opportunité car elles savent le rejet qui les attend chez elles. La recherche a montré que, malgré des exceptions encourageantes, les jeunes filles sont souvent victimes de discrimination et stigmatisation à leur retour dans leurs communautés, et que les programmes de DDR (Désarmement, démobilisation et réinsertion, Ndlr) ne répondent pas suffisamment à cette problématique fondamentale de l’acceptation familiale et communautaire. C’est pourquoi les jeunes filles sont sous - représentées dans l’ensemble des enfants sortis des groupes armés, elles n’ont pas accès aux services de DDR au même degré que les garçons, et que – dans les cas où elles ont reçu une assistance – celle-ci n’a pas été suffisamment appropriée à leurs situations et besoins spécifiques. Ce qui n’encourage pas les autres à abandonner les groupes armés.

Pourriez-vous nous parler plus en détail des sévices subis par ces filles dans le maquis et  de la façon dont elles réagissent au rejet une fois rentrées dans leur communauté?

Les jeunes filles sorties des groupes armés ont souvent subi des sévices physiques et émotionnels, des violences et des menaces de mort quotidiennes, des conditions de vies exceptionnellement rudes et une solitude extrême. Elles ont besoin de compréhension, de bonté et de soutien affectif pour guérir et reprendre leur développement jusqu’à l’âge adulte. Au lieu de cela, selon les constatations de la recherche, quand elles reviennent enfin à la maison, beaucoup de jeunes filles font face à la suspicion, l’isolement, la discrimination et (dans certains cas) l’humiliation. Elles sont profondément blessées par ce rejet, qui est souvent la source de leur souffrance émotionnelle la plus profonde. Selon leur personnalité et leurs expériences, elles réagissent de différentes manières. Certaines sont en colère face à cette hostilité de la communauté envers elles. Elles se rebellent contre ce traitement qu’elles considèrent comme une injustice flagrante compte tenu de ce qu’elles ont vécu, et affichent une attitude de défi, adoptant ainsi un comportement que la communauté leur avait automatiquement assigné. Ce comportement, à son tour, renforce la perception négative des jeunes filles par la communauté et sert en quelque sorte de «justification» à l’ostracisme dont elles sont frappées. D’autres internalisent le blâme et souffrent en silence. Elles se retirent de la vie sociale alors qu’elles aspirent si ardemment à y être inclues. Un autre groupe de jeunes filles ne peut pas résister à la douleur émotionnelle du mépris, du blâme et du rejet constants, de sorte qu’elles se résignent à retourner vivre avec un groupe armé, en raisonnant qu’une vie de misère dans la brousse est plus souhaitable que d’être rejetée par sa famille et sa communauté. D'autres encore, malgré leur désir de revoir leur famille, décident d’aller s’installer ailleurs, là où leur passé n’est pas connu et où elles ne risquent pas d’être rejetées.

Un calvaire sans fin, quoi?

Oui, des jeunes filles qui ne peuvent plus supporter le rejet retournent alors au groupe armé. D'autres continuent à souffrir en silence ou sont vues comme des filles "difficiles", le résultat étant le même, elles se trouvent sans amies et sans soutien à l'extérieur de la communauté. Elles ont besoin de soutien et d'être incluses dans un groupe, dans une communauté, une famille, elles sont des êtres humains et ne pourraient pas survivre sans d'autres humains. C'est quelque chose de très fondamental, et ces jeunes filles méritent et ont besoin d'encore une fois de faire partie de la communauté à part entière. En effet, des nombreuses filles nous disaient que leur plus grand souhait est que la communauté comprenne qu'elles sont des filles comme les autres et les traite comme tel.

Comment appréciez-vous l'implication de l'État congolais dans l'éradication du phénomène des enfants associés aux forces et groupes armés ?

Des très grands efforts ont été réalisés par les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), le gouvernement congolais et les acteurs de la société civile en protection de l'enfance et en DDR. Ce qui explique que les FARDC aient été enlevées de la liste des Nations unies sur le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés pour cette année (2017, Ndlr). Il reste bien- sûr beaucoup à faire pour mettre à fin au recrutement et l’utilisation des enfants dans des conflits armés en RDC. Car nombreux groupes armés continuent à recruter et utiliser des enfants, et les FARDC sont toujours listées comme un acteur qui commet des violations sexuelles contre les enfants.

Que faire alors pour mettre fin au phénomène des filles associées aux groupes armés en RDC?

C'est une question très difficile, car liée à la persistance de l'insécurité et des groupes armés.  Ce que nous pourrions faire, c'est de montrer que les filles qui restent dans les groupes armés seront les bienvenues si elles peuvent quitter et pour faire cela, il faut commencer avec les jeunes filles déjà de retour mais pas encore acceptées. Par exemple, si les communautés organisent des activités dans lesquelles ces filles sont encouragées à participer (groupe de jeunes, des activités de sports ou de théâtre, des activités organisées par les religieux...) le message de bonne volonté va se transmettre jusque dans la brousse. Nous devrions aussi faire passer des messages venant des communautés qui attendent toujours le retour de ces filles pour encourager les filles à essayer de s'échapper, si l’occasion se présente. Ce sont les communautés qui ont le pouvoir d'aider ces jeunes filles à se réintégrer, les notables ont surtout une position spécifique pour sensibiliser les autres membres de la communauté à être patients et gentils envers ces filles. La jeune fille ne peut arriver à bon port que si sa famille et sa communauté lui accordent tout le soutien et le respect qui lui sont dûs, lui permettant ainsi de surmonter souffrances et terreurs vécues dans la brousse, et de retrouver sa place parmi le siens.