Au Togo, de l’argent frais pour remplacer la justice

Au Togo, de l’argent frais pour remplacer la justice©Louis Vincent/Flickr
Le président togolais Faure Eyadema
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Au Togo, les indemnisations financières semblent devenues le  seul moyen de réparation des préjudices causés par les pouvoirs et agents publics aux citoyens. Aucune des dizaines de plaintes déposées n’a été instruite à ce jour, les bourreaux, presque toujours les mêmes, sont toujours aux affaires et continuent de sévir, allongeant impunément leurs listes de victimes.

 « Le HCRRUN veillera à faire servir à la victime le montant correspondant au degré de préjudice subi sans y ajouter ni retrancher un centime ». Le Haut-commissariat à la réconciliation au renforcement de l’unité nationale (HCRRUN) a sciemment mis en exergue sur son site internet, en décembre 2017, ce passage d’une intervention de sa présidente, Awa Nana-Daboya. Alors qu’elle s’apprêtait à lancer la phase des indemnisations financières des victimes de violences à caractère politique entre 1958 et 2005 au Togo, Awa Nana sait que l’argent (et la prise en charge médicale offerte à quelques cas vulnérables qui en ont besoin) restera pour longtemps la seule vraie réparation accordée à ces rescapés de la dictature togolaise ou leurs ayants droit. Et elle veut cette opération, elle au moins, sans anicroche.

Créé en 2008, mais fonctionnel à partir de 2014, le Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l’Unité Nationale (HCRRUN) s’est vu confier la mise en œuvre des recommandations de la Commission Justice Vérité et Réconciliation (CVJR) installée en 2009 pour faire la lumière sur les nombreuses violences à caractère politique qui ont secoué le pays entre 1958 et 2005.

Privé de moyens financiers les deux premières années de son fonctionnement, le Haut-Commissariat n’aura essentiellement, à la fin du mandat actuel de ses membres, en décembre 2017, que la réparation financière des victimes à brandir comme réalisation majeure. Encore que jusqu’ici les ressources tombent à compte-goutte.

Comptant surtout sur la partie indemnisation financière de sa mission, la présidente du Haut-commissariat, a dû menacer de démissionner pour que, après deux ans de travail,  le gouvernement se décide à leur octroyer quelques 3 millions d’euros. Car elle le sait bien, la seule vraie réparation qu’elle peut encore offrir aux victimes ne sera essentiellement que financière.

Une sanglante répression en 2005

« La réparation ne consiste pas à donner  de l’argent aux victimes », rappelle pourtant bien le HCRRUN, sur son site internet. Au contraire, poursuit-il, selon les standards internationaux, la réparation peut être faite sous cinq (5) formes à savoir : la restitution de la liberté et des droits de l’Homme, l’indemnisation qui comporte une évaluation économique des préjudices, la réadaptation qui se comprend par une prise en charge médicale et psychologique ainsi que l’accès à des services juridiques et sociaux. La satisfaction fait partie des formes de réparation et englobe les mesures et procédures efficaces visant à faire cesser des violations persistantes : manifestation complète et publique de la vérité, recherche des personnes disparues, de l’identité des enfants qui ont été enlevés et des corps des personnes tuées, et assistance pour la récupération, l’identification et la ré-inhumation des corps; rétablissement de la dignité;  excuses publiques, notamment reconnaissance des faits et acceptation de responsabilité; sanctions judiciaires et administratives à l’encontre des personnes responsables des violations; commémorations et hommages aux victimes; etc. Viennent enfin les garanties de non-répétition qui consistent à prendre des  mesures en vue de prévenir la violence et à veiller au contrôle efficace des forces armées et des forces de sécurité par l’autorité civile; promouvoir des mécanismes pour prévenir, surveiller et résoudre les conflits sociaux, etc.

En 2005, la prise du pouvoir par Faure Gnassingbé suite au décès de son père (38 ans sans partage au pouvoir) a déclenché des vagues de contestation au sein de la population. La répression a été sanglante et d’une rare violence. L’ONU a dénombré au moins 500 morts. C’est ainsi que la classe politique a décidé de la mise en place d’un processus de justice transitionnelle, toujours en cours, mais qui couvre des faits remontant de 2005 à 1958. Ces violences sont en principe appelées à ne plus se reproduire, suivant le principe de la garantie de non répétition que les autorités publiques sont tenues de donner aux populations. Mais, aujourd’hui, en dehors des indemnisations financières qui sont en train d’être accordées, aucune garantie que les mêmes personnes ne soient de nouveau victimes des mêmes, sinon pires violences, pour les mêmes raisons politiques.

Les bourreaux du massacre de 2005 sont toujours aux affaires s’ils ne sont pas promus à de plus hautes fonctions. L’opposition et la société civile qui comptent généralement dans leurs rangs, l’écrasante majorité des victimes, continuent d’enregistrer de nouveaux morts, blessés, détenus, exilés, depuis ces 13 dernières années. Les auteurs restent les mêmes et jouissent d’une impunité. Les 72 plaintes déposées par les victimes des troubles de 2005 restent couvertes de poussières au fond des tiroirs des juridictions togolaises. Que dire de la décision de la Cour de justice de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), rendue le 03 juillet 2013, condamnant l’Etat togolais à instruire les 72 plaintes déposées par les victimes ? Elle aussi, reste sans suite. A ce jour, aucune des plaintes n’est instruite, pendant que de l’argent est proposé aux victimes via le Haut-Commissariat pour la Réconciliation et le Renforcement de l’Unité nationale.

Concéder des compensations financières à des victimes d’abus ou de violence, en lieu et place d’une justice véritable est une pratique qui s’est désormais répandue au Togo. Et qui ne manque d’ailleurs pas de scandaliser ceux qui y voient du gaspillage des deniers publics par des gouvernants qui s’emploient à violer ou à laisser violer les droits civils et politiques des citoyens pour ensuite leur proposer une compensation financière.

Pour une réparation adéquate

En mars 2014, le gouvernement a dû payer environ un million de dollars (532 millions de francs CFA) à des personnes victimes de tortures de la part des agents du service de renseignement, dans une affaire de tentative d’atteinte à la sureté de l’Etat. La même année, le trésor public s’est vu obligé de verser d’autres 365 000 euros (240 millions de francs CFA) à des députés de l’opposition exclus abusivement de l’Assemblée.  Dans les deux cas, les victimes ont exigé que la réparation des préjudices soit complète. Vainement !

En ce qui concerne les victimes de torture, l’Association des victimes de tortures au Togo (Asvitto) « exhorte» le gouvernement, depuis 2014, « à faire diligence en vue de la réhabilitation, de la réinsertion socioprofessionnelle des victimes et du respect scrupuleux des dispositions de l’article 14 de la Convention Contre la Torture en son alinéa 1 qui stipule partiellement que ‘‘tout Etat partie garantit, dans son système Juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible’’».

Quatre ans après l’indemnisation financière, cette association qui milite au-devant de la lutte pour la réhabilitation complète desdites victimes de torture a dû constater dans un communiqué, début janvier 2018, que la réparation attendue est restée, à ce jour, inachevée. Asvitto a de nouveau déploré que l’Etat, qui s’est contenté de verser de l’argent aux victimes, continue d’en garder quelques-unes de façon « arbitraire » en prison, contrairement à ce qu’avaient recommandé, respectivement en 2013 et 2014, la Cour de justice de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et le Groupe de Travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires.

Au Togo, l’argent remplace facilement la justice.