OPINION

La Centrafrique en quête de "son modèle de justice transitionnelle", selon Mgr Yombadje

La Centrafrique en quête de
Monseigneur François-Xavier Yombadje. Il préside un Groupe de travail pour définir un modèle de justice transitionnelle en RCA
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La crise centrafricaine qui dure depuis 2013 a sapé les fondements de l’unité du pays. Les Centrafricains s’accordent aujourd’hui sur le fait que la justice classique, à elle seule, ne saurait ressouder le tissu social en lambeaux. C’est pourquoi le pays s’est engagé à mettre en place un système de justice transitionnelle, inspiré notamment de l’expérience du Rwanda qui a connu un génocide en 1994. JusticeInfo a interrogé  Monseigneur François Xavier Yombadje, évêque émérite de Bossangoa, qui préside le Groupe de travail mis en place par la Coordination de la société civile centrafricaine pour définir un modèle de justice transitionnelle dans le contexte de ce pays.

JusticeInfo : Qu’entendez-vous par justice transitionnelle dans le contexte centrafricain ? Que peut-on en attendre ?

Mgr François Xavier Yombadje : La justice transitionnelle est basée sur quatre piliers, du moins pour ce que notre pays a retenu. Le premier pilier, c’est le devoir de savoir ou le devoir de mémoire. Il faut que la victime, voire tout le monde sache ce qui s’est passé et comment nous  en sommes arrivés là. Il faut que nous comprenions. 

Ensuite, il y a le devoir de justice. Nous ne pouvons pas échapper à cette dimension après la crise que nous avons connue. Pour que les uns et les autres entrent dans la perspective de la réconciliation, et puissent renouer avec la paix et le développement, il faut que nous parlions justice. Et la justice ne peut pas se faire sans la réparation.

Enfin, il y a la garantie de non-répétition. On entend dans le discours officiel : ‘’plus jamais ça !’’. C’est la base même du principe de non-répétition. Il ne faut pas que nous revivions ce que nous avons vécu : souffrances, morts, perte de biens et de la dignité, démolition du pays. Il ne faut plus que nous retombions dans cette logique qui nous a détruits. A travers cette garantie de non-répétition, on voit les symptômes qui nous diront plus tard que là, nous sommes en train de faire une nouvelle glissade, une autre descente aux enfers, qu’il faut qu’on arrête. Il s’agit d’éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Ce mécanisme de justice transitionnelle aidera par ailleurs la Cour pénale spéciale qui se met en place progressivement, ainsi que le système judiciaire qui est en panne chez nous. Je précise que la justice transitionnelle n’est pas en concurrence avec la Cour spéciale ou le système judiciaire national, mais plutôt un mécanisme complémentaire.

A quels défis pourrait être confronté le processus de justice transitionnelle dans le contexte centrafricain ?

Les défis sont nombreux. En Centrafrique,  nous sommes une mosaïque d’ethnies, avec une diversité culturelle. Il nous faut en tenir compte pour arriver à un modèle qui soit un dénominateur commun entre le Nord, le Nord-Ouest, le Nord-Est, le Centre, le Sud-Est, le Sud-Ouest.

A un autre niveau, nous avons le problème des archives. Dans le pays, les archives sont des denrées rares. Il y a une insuffisance ou un manque de documentations sur l’histoire lointaine, l’histoire récente et l’histoire contemporaine.

On parle d’enquêtes, de victimes, … Mais où est la documentation de base, où sont les archives qui serviront, non seulement dans le cadre de la justice transitionnelle, mais aussi au niveau de la Cour spéciale et du système judiciaire national classique ? 

Le troisième problème va être celui des enquêteurs. Sur le terrain, il y a des zones encore occupées par les groupes armés. Comment faire en sorte que ces enquêteurs ne soient pas en difficulté quand ils iront sur le terrain ?

Nous aurons  aussi besoin d’un bureau. Mais en partenariat avec la MINUSCA, nous espérons avoir un siège qui va abriter notre administration et nos archives. C’est que là que nous tiendrons nos réunions pour nous projeter dans le temps.

Concrètement, qu’est-ce qui a été déjà fait et qu’est-ce qui reste à faire pour parvenir au modèle centrafricain de justice transitionnelle ?

Dans un premier temps, nous avons beaucoup travaillé sur le renforcement des capacités, car il nous fallait bien savoir de quoi nous parlons et ce que nous allons faire ensemble. Ensuite, nous avons mis en place le bureau du Groupe de travail sur la justice transitionnelle dans le but justement de soutenir la CPS qui va naître. Puis, nous avons eu des contacts, plusieurs fois avec la MINUSCA, une ou deux fois avec le ministère de tutelle. Nous avons également eu à travailler dans la Coordination de la société civile.

Très prochainement, ce que nous aurons à faire, c’est de travailler avec les techniciens et les chercheurs, qui nous permettront  de mieux définir ce modèle centrafricain de justice transitionnelle. C’est un travail scientifique puisqu’il sera question de récolter des données, en discuter et faire des propositions. Une fois cette phase terminée, nous allons travailler sur la sensibilisation avec, bien évidemment, ces techniciens et experts qui vont renforcer nos capacités en techniques d’enquêtes et de sensibilisation, d’animation de rencontres.

C’est un travail qui doit être sérieux et nous ne devons pas agir dans la précipitation. Nous devons avoir toutes les informations. Par exemple, est-ce que des fosses communes existent ? Comment faire avec un médecin - légiste pour identifier les victimes, etc. C’est un travail bien lourd. Le but, c’est d’arriver à la réconciliation.

Comment comptez-vous harmoniser votre action avec celle de la Cour pénale spéciale (CPS) qui se met aussi en place ?

Il n’y a pas de danger en cela. Ce ne sont pas des systèmes qui sont en concurrence, mais des systèmes qui sont en complémentarité. Le but n’est pas de juger pour juger. La CPS et la justice nationale vont faire leur travail mais en plus de cela, il va y avoir ce qui se passera chez nous, au niveau des villages, des communautés, comme cela s’est fait au Rwanda (ndlr : avec les juridictions populaires gacacas).

La justice classique a montré ses limites dans des situations post-crise, c’est pourquoi les gens, ailleurs, ont compris qu’on ne peut pas se passer de la justice transitionnelle. Car il faut ressouder la société qui ne doit pas être constituée à jamais d’éternelles victimes et d’éternels bourreaux. Il faut que justice soit rendue mais aussi que l’on puisse aller de l’avant, dans la réconciliation et l’unité retrouvée.

Pensez-vous déjà à quelles formes pourraient prendre la mémoire et la réparation de ce que les Centrafricains ont vécu ?

Si jamais on arrive à sortir de cette crise, comment faire, comment allons-nous nous acquitter du  devoir de mémoire ? Allons-nous ériger un monument, à l’image de celui des Martyrs ? La question est posée et les discussions sont se poursuivre. Et la réparation, en quoi consistera-t-elle ? Sera-t-elle financière ou non ? Quelle forme prendra-t-elle ? Oui, le système de justice transitionnelle qui sera retenu permettra d’y répondre.

Nous avons organisé beaucoup de séminaires en renforcement des capacités pour voir les problèmes que pose la justice transitionnelle, comment nous allons travailler avec les autorités en place, notamment avec le ministère de la Réconciliation et les Droits de l’homme, avec la MINUSCA (Mission de l’ONU en Centrafrique). Bref, nous aurons besoin de l’apport  de techniciens, scientifiques, chercheurs pour analyser les données que nous avons pu recueillir. Nous allons ainsi rentrer dans une synergie d’actions qui mettra le pays sur le chemin de la réconciliation nationale et donc de concorde nationale.