La CPI « examine » les crimes au Venezuela et aux Philippines

La CPI « examine » les crimes au Venezuela et aux Philippines©AFP/Noel Celis
Une famille visite la tombe d'un mineur victime de la guerre contre la drogue du Président Dutertre
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Le Venezuela et les Philippines sont désormais dans le viseur de la procureure de la Cour pénale internationale (CPI). Dans un communiqué, Fatou Bensouda a annoncé l’ouverture de deux nouveaux examens préliminaires, visant la « campagne de ‘guerre contre la drogue’ » aux Philippines et la répression politique au Venezuela. Les examens préliminaires – étape préalable à l’ouverture éventuelle d’une enquête – visent habituellement à lancer un coup de semonce, inciter les Etats à poursuivre les auteurs de crimes devant leurs propres tribunaux, et montrer que la compétence de la Cour est quasi universelle.

Au cours de cette étape, la procureure doit essentiellement déterminer si les crimes relèvent de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre et relèvent donc de la Cour, et si des procédures solides sont en cours dans les pays visés. Au terme de cet examen, qui parfois, comme c’est le cas pour la Colombie, dure depuis plus de dix ans, elle peut décider d’ouvrir une enquête ou de refermer le dossier.

Campagne contre la drogue aux Philippines

Concernant les Philippines, la procureure examinera les crimes commis depuis le 1er juillet 2016. Selon le communiqué de la Cour, « des milliers de personnes auraient été tuées » depuis cette date, « car elles auraient illégalement consommé des drogues ou se seraient livrées au trafic de stupéfiants ». Le bureau du procureur précise que certains meurtres résultent d’affrontement entre gangs, mais d’autres sont « des meurtres extra-judiciaires perpétrés au cours d’opérations policières de lutte contre la drogue ». A Manille, le chef de l’Etat a réagi via son porte-parole, Harry Roque, au cours d’une conférence de presse. Rodrigo Dutertre, qui a longtemps fustigé la Cour, menaçant en 2016 de s’en retirer, a « salué » l’annonce, « parce qu’il est malade et fatigué d’être accusé de commettre des crimes contre l’humanité ». « Personne ne devrait crier victoire », a ajouté le porte-parole précisant que le président n’est pas mis en accusation. Manille répond aussi sur le fond, affirmant que la Cour n’a pas juridiction pour enquêter, puisque les tribunaux philippins ont primauté pour juger les auteurs de crimes. L’avenir dira si l’intervention de la Cour provoquera un sursaut contre l’impunité dans le pays. Par ailleurs, la campagne contre la drogue est légale, considère la présidence, ajoutant que le pouvoir philippin a « la responsabilité de protéger les générations présentes et futures », et que les actions ne peuvent être « caractérisé comme une attaque contre les populations civiles ». La décision de la procureure marque sans doute un tournant dans les champs de compétence de la Cour, qui, si elle devait décider d’enquêter, ne se pencherait pas cette fois sur un conflit armé à proprement parler. C’était la réponse qu’avait, jusqu’ici, donné la Cour aux plaintes d’ONG mexicaines et internationales. La décision de se pencher sur le cas philippin, et de l’annoncer publiquement, devrait aussi susciter quelques interrogations sur le traitement réservé au cas du Mexique, dont la guerre contre la drogue présente bien des similitudes avec les Philippines. Les ONG mexicaines avaient, par le passé, demandé à Fatou Bensouda de se prononcer publiquement, dans l’espoir de susciter des poursuites au niveau national. Mais sans succès.

Répression au Venezuela

Le second examen préliminaire annoncé par la procureure portera sur les crimes commis depuis au moins avril 2017 au Venezuela, « dans le contexte des manifestations et des troubles politiques » en cours. Selon Fatou Bensouda, « les forces de l’ordre (…) auraient fréquemment eu recours à la force de manière excessive pour disperser des manifestants ou réprimer des manifestations ». Elle évoque aussi les milliers d’opposants emprisonnés qui auraient subi « sévices » et « mauvais traitements ». La procureure ajoute que des manifestants « auraient eu recours à la violence », tuant et blessant des forces de l’ordre. La décision de la procureure est annoncée quelques heures après l’annonce, par le président vénézuélien, Nicolas Maduro, de la date du scrutin présidentiel au 22 avril 2018, suite à l’échec de négociations avec l’opposition, qui demandait notamment la libération de deux de ses principaux leaders, l’ancien candidat à la présidentielle, Henrique Capriles et Leopoldo Lopez. Caracas n’a pas encore répondu, mais l’intervention du Venezuela lors de l’Assemblée des Etats parties de la CPI à La Haye, en 2016, avait des accents prémonitoires. Il dénonçait une « pratique de plus en plus récurrente par laquelle des personnes se présentent à la Cour » pour y porter plainte, mais « dont l’intention n’est autre que d’attaquer les gouvernements et les représentants des Etats parties à des fins politiques, en particulier à l’approche d’élections. » Le Venezuela affirmait que l’objectif était « une publicité négative contre l’ensemble d’un pays, qui est mis au banc des accusés par le biais d’un examen préliminaire superficiel ».

Avec les Philippines et le Venezuela, Fatou Bensouda conduit actuellement neuf examens préliminaires. En novembre 2017, elle avait conclu celui sur l’Afghanistan en demandant aux juges l’autorisation d’ouvrir une enquête pour les crimes commis par le pouvoir en place, par les Talibans, et par les forces armées américaines et la CIA. La procédure est toujours en cours.

 

Les activités parallèles au sein de la CPI exploitées par les Etats peu vertueux

La Cour ayant le talent de fournir des armes aux Etats les moins vertueux, l'ambassadrice vénézuélienne aux Pays-Bas Haifa Aissami Madah dénonçait en 2015 des « pratiques abusives » au sein de la juridiction, et s’inquiétait d’un « événement récent ». L’ambassadrice faisait référence à un gala organisé en septembre 2015 par la fondation de Florence Olara, alors porte-parole de la procureure, où avaient été invités des membres de l’opposition vénézuélienne, et où l’épouse de Leonardo Lopez, - condamné à 13 ans et six mois de prison, et actuellement en résidence surveillée au Venezuela – s’était vue remettre un prix. Florence Olara avait alors expliqué qu’ils avaient été invités par des organisations partenaires et non par sa propre fondation. A cette cérémonie, organisée en grande pompe, étaient aussi présents la présidente de la Cour, Silvia Fernandez de Gurmendi, et le Greffier, Herman von Hebel. A La Haye, le Venezuela avait dénoncé « un précédent dangereux qui porte atteinte à la crédibilité de la Cour et viole de façon flagrante les principes d’indépendance de la justice ». En octobre 2017, suite aux révélations de l’European Investigative Collaborations sur la base de documents obtenus par Mediapart (enquête à laquelle l’auteure de cet article a participé), la procureure demandait au Mécanisme de contrôle indépendant [MCI, un organe de contrôle interne] d’ouvrir une enquête visant notamment Florence Olara, mais portant sur d’autres faits. La Cour n’a toujours pas rendues publiques les conclusions de cette enquête. Pour autant, les pratiques n’ont guère changée. Plusieurs employés du bureau du procureur, et plus largement de la Cour, ont des activités parallèles comme consultants ou au sein de fondations, en dépit des risques que cela peut porter sur la crédibilité et l’indépendance de la Cour. En 2017, toujours devant l’Assemblée des Etats parties, le Venezuela mettait aussi la Cour en garde contre toute forme « d’externalisation » de la justice, dénonçant « les auditions illégales » organisées par l’Organisation des Etats Américains (OEA), « avec la participation de l’ancien Procureur », dans l’objectif « d’établir de facto un tribunal parallèle » à la justice du Venezuela. Au cours de l’été 2017, Luis Moreno Ocampo, alors en charge du dossier à l’OEA, avait affirmé que des crimes contre l’humanité étaient en cours au Venezuela, et ajoutait qu’ils étaient du ressort de la CPI. A plusieurs reprises depuis 2012, selon l’enquête des journalistes de l’EIC, le procureur, dont les pratiques et le bilan pèsent encore aujourd’hui lourdement sur la crédibilité de la Cour, avait demandé à la procureure de recevoir des membres de l’opposition à Caracas. Ce qu’elle avait, alors, refusé.