« J’aurais souhaité que les Maliens paient la reconstruction des mausolées de Tombouctou »

« J’aurais souhaité que les Maliens paient la reconstruction des mausolées de Tombouctou »©STR / AFP
Le 1er juillet 2012, des djihadistes détruisent des mausolées à Tombouctou
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En 2012, les groupes djihadistes s’emparent du nord du Mali. Ils occupent notamment la ville de Tombouctou, capitale intellectuelle du Sahara et carrefour multiséculaire de différentes cultures. Les djihadistes détruisent méthodiquement le patrimoine culturel unique de la Cité des 333 Saints. Quinze des seize mausolées de la ville et la porte de la mosquée Sidi Yahia, considérée comme sacrée par les habitants, sont détruits à coups de pioche, houe et burin, par des groupes liés à Al-Qaïda, dont Ansar Dine, au nom de la lutte contre "l'idolâtrie". Environ 4200 manuscrits de l’Institut des Hautes Études et de Recherche Islamique Ahmed Baba (IHERI-AB) sont aussi brûlés par les djihadistes. Le monument emblématique à l’effigie d’El Farouk, le cavalier mythique de la Cité des 333 Saints, dressé à la place de l’indépendance est également saccagé. Heureusement, 370.000 autres manuscrits ont pu être sauvés, en étant déplacés à Bamako.

Les groupes djihadistes ont dicté leur loi dans le nord du Mali jusqu'au déclenchement, en janvier 2013, d'une opération militaire internationale à l'initiative de la France. Cette même année 2013, les autorités maliennes en collaboration avec l’UNESCO ont élaboré le « Plan d’actions pour la réhabilitation du patrimoine culturel endommagé et la mise en place des mesures pour la sauvegarde des manuscrits de Tombouctou », plan qui sera finalisé en février 2016.

Archéologue malien, Daouda Keïta a participé à la reconstruction des mausolées de Tombouctou, travaillant sur les questions relatives aux matériaux et aux techniques de construction. Il a collaboré avec la Direction Nationale du Patrimoine Culturel (DNPC), qui coordonnait la reconstruction avec des architectes ainsi qu’avec des maçons locaux, des descendants des Saints et des membres de la société civile.

 

JusticeInfo.net: Qu’est-ce qui selon vous a été irrémédiablement perdu ou détruit par les djihadistes à Tombouctou?

Le but de la destruction des mausolées était de toucher la population de Tombouctou dans son âme, car la ville est connue comme étant la cité des 333 Saints, vénérant par la construction de mosquées et de mausolées autant d’hommes pieux. En détruisant le patrimoine culturel de Tombouctou, les djihadistes ont voulu à la fois détruire le lien matériel et immatériel qui unissent les habitants à ces mausolées, qui sont autant de lieux de prières et de recueillement. Les Saints sont les protecteurs de la ville. Les habitants de Tombouctou se reconnaissent à travers eux et la ville est connue dans le monde par la présence de ces mausolées qui honorent ces Saints. Ces mausolées caractérisent également la diversité et la tolérance religieuse de la ville. Parmi ces personnes honorées, on trouve des Songhoys, des Arabes, des Peulhs, etc.  Derrière l’acte de destruction, il y avait également la volonté de frapper les esprits : il s’agissait pour les djihadistes de faire parler d'eux, en utilisant la caisse de résonance médiatique.

Savez-vous si des gens de Tombouctou ont participé aux destructions ?
J’ignore s’il y avait parmi les casseurs des habitants de Tombouctou. En revanche, il y avait des Maliens et surtout des personnes originaires des localités proches de Tombouctou parmi les occupants de la ville.

Dans quelle mesure, le processus de réhabilitation des mausolées a-t-il impliqué les populations ? Était-ce suffisant, selon vous ?

A mes yeux, le processus a impliqué une partie importante de la population : les autorités à la fois administratives, locales, communales ont été impliquées ainsi que la société civile, les descendants des Saints, qui sont les propriétaires des mausolées et des maçons. Rappelons ici que chaque famille a ses propres maçons qui ne peuvent intervenir que sur le mausolée de leur famille. Ils sont les seuls habilités à faire les travaux. Quelques personnes ont exprimé leur mécontentement, car les reconstructions n’ont pas toujours été faites à l’identique. Ainsi, une personne s’est élevée sur le fait qu’un élément essentiel à ses yeux du monument Alfaruk a été supprimé, une phrase en écriture arabe dont le sens est " À la mémoire de ceux qui sont morts pour que le Mali soit".

Auriez-vous suggéré une autre approche dans le processus de réhabilitation des mausolées ?

Je remercie l'UNESCO pour avoir reconstruit les mausolées. Mais j’aurais souhaité que le Mali et les Maliens prennent une part active, sur le plan financier, à la reconstruction de ces mausolées. Il ne faut pas toujours attendre des autres ce que nous pouvons nous-mêmes faire, surtout qu'il ne s'agissait pas de montants astronomiques. Une souscription volontaire aurait permis de recouvrir le montant nécessaire. 

Estimez-vous que le lien spirituel entre les populations et les mausolées a été rétabli ?

Après la reconstruction des lieux, il y a eu des prières de sacralisation des mausolées à Tombouctou. Leur réhabilitation a permis que les mausolées retrouvent leur dimension spirituelle.

En tant que citoyen malien, que retirez-vous à la fois du processus de destruction, puis de réhabilitation de ce patrimoine culturel de votre pays ?

Je retiens qu'en période de conflit, le patrimoine subit toujours des dommages comme on le voit en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Cette perte est préjudiciable à la communauté nationale directement affectée ainsi qu’à la communauté internationale. Le patrimoine est vulnérable. Il convient par conséquent de prendre des mesures de sauvegarde avant, pendant et après les conflits en impliquant toutes les parties prenantes. Les communautés locales doivent jouer un rôle important dans ce processus. Cela montre également l'attachement des populations à leur patrimoine. Nous avons constaté l'impuissance des populations face à la destruction de leur patrimoine et leur soulagement après leur réhabilitation. Les populations s'identifient à ces mausolées. Leur destruction avait laissé un grand vide que rien ne pouvait combler, sinon leur réhabilitation.

 

Propos recueillis par PH