Pas de troubles mentaux pour le chef de guerre de l'Armée du Seigneur, selon les psychiatres de la Cour Pénale

Pas de troubles mentaux pour le chef de guerre de l'Armée du Seigneur, selon les psychiatres de la Cour Pénale©ICC/CPI
Dominic Ongwen, "en mode survie" mais "une intelligence supérieure à la moyenne"
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La première étape du procès de Dominic Ongwen arrive à son terme. Mi-avril, le procureur appellera son dernier témoin à la barre de la Cour pénale internationale (CPI) avant de laisser place à la défense. Cet ancien commandant dans l’Armée de résistance du Seigneur (ARS) répond de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans le nord de l’Ouganda. Ses avocats plaident le déséquilibre mental, espérant l’acquittement.

 « Monsieur Ongwen se trouvait dans un environnement traumatisant, nous sommes tous d’accord », confirme Catherine Abbo à la barre de la Cour ce 27 mars 2018. Enlevé à l’âge de 14 ans par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA, acronyme anglais), Dominic Ongwen était au départ « sur un mode de survie », explique l’experte psychiatre. Mais au sein de la rébellion nordiste, alors en lutte contre le régime du président Museveni, l’accusé « a été promu très rapidement ». L’enfant-soldat devenu adulte grimpe rapidement les échelons de la milice menée par Joseph Kony - lui aussi accusé par la Cour mais toujours en fuite – pour devenir commandant de la brigade Sinia, l’une des quatre que compte alors l’Armée de résistance du Seigneur.

Comme les deux autres experts appelés par le procureur, Catherine Abbo n’a pu rencontrer l’accusé, qui s’y oppose, mais a pu visionner des vidéos et consulter les témoignages. Pour Catherine Abbo, ses promotions sont des récompenses qui lui donnaient « de meilleures conditions de vie » et l’ont peut-être « protégé d’autres situations traumatisantes ». Toujours est-il que selon l’experte, rien n’indique qu’Ongwen souffrait de troubles mentaux lorsqu’il aurait commis les crimes dont il est accusé devant la Cour. Soixante-dix chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, pour les meurtres, les viols, des mariages forcés, perpétrés entre 2002 et 2004 dans le nord de l’Ouganda, où Dominic Ongwen aurait, selon l’accusation, conduit plusieurs attaques sur les camps de civils déplacés, censés être protégés par l’armée régulière ougandaise (l’UPDF).

Ongwen irresponsable ?

Dès août 2016, ses avocats, Krispus Ayena Odongo et Charles Taku, avaient évoqué les problèmes mentaux dont aurait souffert l’accusé à l’époque des crimes reprochés, laissant présager d’une défense visant un verdict d’irresponsabilité. A l’ouverture de son procès le 6 décembre 2016, ses avocats avaient affirmé, expertises à l’appui, que leur client était incapable de suivre son procès, sans parvenir à convaincre les juges. Ils avaient néanmoins désigné un nouvel expert, qui avait conclu que l’accusé avait la capacité de suivre les audiences mais souffrait de dépression due à son incarcération. Un diagnostic contesté par de nouveaux experts, appelés cette fois par le procureur. Avant même que les avocats du milicien n’aient abattus toutes leurs cartes, qu’ils présentent à la Cour leurs contre-preuves, le procureur Ben Gumpert tente de vider leur stratégie, en appelant ses propres experts. Début mars, le docteur Gillian Clare Mezey avait assuré qu’Ongwen ne souffrait d’aucune maladie mentale à l’époque où il était commandant dans la LRA, entre 2002 et 2005, pas plus qu’il ne souffrirait aujourd’hui de dépression. Tout au plus des angoisses, avait-elle déclarée, dues à la prison. En septembre 2016, à quelques heures d’une visite annoncée du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) - qui inspecte régulièrement l’aile de la prison de Scheveningen réservée aux détenus de la CPI - M. Ongwen avait avalé du détergeant, pour protester contre l’absence de visites, notamment de ses enfants. Les Etats membres refusent de financer les visites des familles – souvent résidant à des milliers de kilomètres de La Haye – sur le budget régulier de la Cour, qui a dû créer un fonds spécial auquel peu d’Etats contribuent.

Une intelligence supérieure à la moyenne

A en croire le docteur Abbo, l’accusé n’aurait pas de troubles mentaux mais disposerait plutôt d’une « intelligence supérieure à la moyenne ». Et elle explique : « Je me suis appuyée sur la façon dont il raisonne, dont il tire des conclusions, et cela m’a laissé l’impression que c’était un être qui réfléchissait et qui était en mesure de comprendre les choses. S’il avait eu la possibilité d’étudier, je pense qu’il aurait très bien tiré son épingle du jeu. »

Depuis l’ouverture du procès, plus de 60 témoins du procureur ont déposé devant les juges, auxquels s’ajoutent une cinquantaine de dépositions enregistrées au dossier. Ces témoins sont des victimes civiles, des enfants-soldats enrôlés par Ongwen ; ceux qui l’ont escorté dans la brousse, celles qu’il aurait violées, mariées de force ou distribuées à ses officiers, et les hommes qu’il conduisait au combat. Plusieurs officiers de l’Armée régulière ougandaise, que combattait la milice de Kony, sont aussi venus certifier les nombreuses communications de la milice, interceptées par le régime ougandais.

Socialisation en brousse

« Il y avait une socialisation au sein de la brousse qui a permis à monsieur Ongwen de réagir ? » interroge une avocate de l’accusé. « Il y avait un chef, des règles et ces règles étaient suivies. Ne pas boire, lire la Bible, ce sont des paramètres utilisées dans toute communauté », explique le Docteur Abbo, qui ajoute : « Monsieur Ongwen avait des épouses, il avait des enfants. Non seulement il était le père de ces enfants, j’ai vu qu’il jouait avec eux, il parlait avec eux. Cette socialisation au sein de la brousse est un élément qui a permis à monsieur Ongwen d’avoir ce mécanisme d’adaptation face au stress qui l’entourait ». Selon le procureur, Dominic Ongwen aurait eu au moins sept épouses lors de ses années de brousse. Enlevée dans les villages et les camps attaqués par la milice, des filles et des adolescentes étaient ensuite attribuées aux miliciens et aux commandants. « Il y a les observations de l’une de ses épouses, et ces informations sont très positives, dit Catherine Abbo. Elle a dit qu’il les traitait bien, les aimait, les battait très rarement. Elle semble parler au nom de toutes les épouses. Dans le contexte familial, il fonctionnait bien, alors que normalement c’est un défi pour la plupart des hommes, lorsqu’ils ont plusieurs épouses, mais lui s’en est bien sorti », constate l’experte psychiatre. Dominic Ongwen serait aussi le père d’au moins 11 enfants, selon les analyses ADN réalisées par le bureau du procureur. L’avocate revient à la charge, évoquant les souffrances subies par l’accusé, victime lui aussi d’une guerre dont il rejette toute la responsabilité sur son chef d’alors, Joseph Kony, comme les témoins qui sont venus déposer, suggère-t-elle. « Il y a eu d’abord la séparation, ajoutons-y les meurtres violents auxquels il a assisté », propose-telle, avant de dresser comme un inventaire des crimes racontés par les témoins « qui ont dit qu’il fallait tuer les gens qui avaient été enlevés dans les villages pillés, que certains qui voulaient s’échapper ont été tués (…), certains ont dû porter des corps, s’asseoir sur des cadavres (…) Est-ce que cela peut déclencher quelque chose qui modifie votre état mental ? Je n’aime pas cette idée de basculement, dans le cerveau, ça ne marche pas comme cela », rétorque l’experte psychiatre pour qui l’impact de la violence ne « peut être évaluée qu’au cas par cas ». Catherine Abbo raconte avoir rencontré de nombreux enfants soldats. « Pour certains, il y a eu des effets très négatifs et d‘autres, non. Ils avaient pourtant vécu la même chose. » Le procès doit reprendre mi-avril, avec l’audition du troisième expert-psychiatre appelé par le procureur. Ensuite, sept victimes enregistrées dans l’affaire viendront raconter leur histoire à la barre. Appelées par leurs avocats, elles déposeront notamment sur les dommages, passés et présents, dus aux crimes reprochés à Dominic Ongwen.