OPINION

La semaine de la justice transitionnelle : les lieux de mémoire comptent

La semaine de la justice transitionnelle : les lieux de mémoire comptent©
Déportation de la population arménienne de la ville de Kharpout par les soldats ottomans, avril 1915. Photo d'archives
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Cette semaine, JusticeInfo.net s’est intéressé à l’ouverture du mémorial consacré au génocide arménien dans un parc de Genève, symbole de l’importance des lieux de mémoire pour les victimes. Notre correspondant à Genève Frédéric Burnand explique : Malgré l’opposition d’Ankara, les Réverbères de la mémoire ont été inaugurés à Genève, après 10 ans de bataille judiciaire et diplomatique. L’œuvre de l’artiste Melik Ohanian rend hommage aux Arméniens massacrés il y a plus d’un siècle en Turquie et aux très nombreux Suisses qui se sont mobilisés en leur faveur dès les premiers massacres. Un message qui n’a rien perdu de son actualité”. Pierre Hazan, conseiller éditorial de JusticeInfo.net ajoute : “Il est salutaire que Genève et la Suisse aient donné refuge aux Réverbères de la mémoire. Car la tragédie arménienne comme toute tragédie nécessite un travail de mémoire. Celui-ci est d’autant plus essentiel qu’il se heurte toujours à un négationnisme qui reste vivace”.

Le génocide arménien n’est pas le premier génocide répertorié de l’histoire contemporaine. Le sinistre précédent en revient aux massacres des Hereros et Namas dans ce qui est aujourd’hui la Namibie par l’armée coloniale allemande. Mais, selon Pierre Hazan, il a permis à un juriste polonais, Raphaël Lemkin, qui, comparant l’abandon des Arméniens lors des persécutions et des massacres de 1915-1916 et celui des juifs durant la deuxième guerre mondiale, de forger en 1944 le terme de « génocide ». “Il voulait ainsi capturer conceptuellement et juridiquement une nouvelle réalité monstrueuse de la guerre – l’extermination des populations civiles -. Lemkin fut, du reste, l’infatigable artisan de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948”, explique JusticeInfo.net.

Ces lieux de mémoire n’empêchent pas la reproduction de ces crimes de masse mais restent comme des sentinelles de l’histoire pour les victimes.

Victimes qui ont droit aux “réparations”, l’un des quatre piliers de la justice transitionnelle, selon la définition largement usitée du juriste français Louis Joinet.

Dans une longue interview, Pieter de Baan, directeur exécutif du Fonds au profit des victimes à la Cour Pénale Internationale s’explique sur la lenteur des procédures de cette juridiction. Il dit reconnaître la frustration des victimes, la perte de confiance qu'elles peuvent avoir” qu’il justifie par la faiblesse des moyens humains et financiers qui lui sont accordés. Pourtant de son propre aveu, “Les réparations aident à rendre la Cour plus pertinente pour une société, au-delà des poursuites, au-delà de ce qu’il se passe ici, dans la salle d’audience.”

Questionnements en Tunisie

Même questionnement des victimes en Tunisie, donnée souvent comme modèle pour la justice transitionnelle, où l’Instance Vérité et Justice, menacée de fermeture avant terme, a commencé à transférer aux tribunaux spécialisés ses premiers dossiers. Treize ont été créés dans tout le pays, explique la correspondante de JusticeInfo.net à Tunis, Olfa Belhassine. Deux dossiers ont déjà été transmis à ces chambres ad hoc, l’un concernant une disparition forcée celle d’un militant islamiste Kamel Matmati, transféré à la chambre spécialisée de Gabès, dans le sud du pays et un concernant la mort sous la torture de Rachid Chammakhi, déféré à la chambre de Nabeul, dans le Cap Bon. Olfa Belhassine explique : “pour tous ceux en Tunisie, ONG des droits humains et associations de victimes, qui luttent contre l’impunité persistante dans le premier pays du « printemps arabe », il s’agit d’une avancée importante dans la mise en place d’un processus de justice transitionnelle; des agents de l’Etat, particulièrement dans l’appareil sécuritaire vont devoir rendre des comptes”.

La correspondante de JusticeInfo.net rappelle la férocité de l’appareil de répression. Kamel Matmati est mort sous la torture en octobre 1991 quelques heures après son arrestation mais le régime tient son décès secret. “Ainsi, pendant des années, son épouse avec la mère de la victime, a apporté à manger et des vêtements au commissariat de police de Gabès pour son mari qu’elle croyait en vie. Les deux femmes ont décrit leur calvaire : pendant des années elles n’arrêtent pas de tourner dans les postes de police, les hôpitaux, les prisons à la recherche du fils ou du mari perdu”.

L’épouse du militant n’a appris qu’en 2009 la vérité.