Egypte: «La répression atteint un niveau inimaginable.»

Alors que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi doit prêter serment samedi devant le Parlement, deux mois après sa réélection, la répression à l’encontre des voix discordantes franchit un seuil jamais atteint, dénonce le défenseur des droits humains Mohamed Lotfy dont l’épouse, Amal Fathy, a été emprisonnée dans le but de l’intimider, selon plusieurs ONG internationales. Entretien.  

Egypte: «La répression atteint un niveau inimaginable.»©DR
Amal Fathy et son époux Mohamed Lotfy.
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L’élection triomphale du président égyptien n’a pas engendré la moindre détente sur le plan politique. La répression se poursuit. Et ce bien au-delà de la mouvance islamiste des Frères musulmans. Une tendance dénoncée tant par l’Union européenne que par Amnesty International et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT).

Des ONG qui appellent également à la libération d’Amal Fathy, accusée d’inciter au renversement du régime pour avoir posté sur Facebook une vidéo excédée sur le harcèlement sexuel dont elle se dit victime et arrêtée le 11 mai dernier. Pour son époux qui est directeur de la Coalition égyptienne pour les droits et les libertés (ECRF), le gouvernement cherche ainsi à étouffer encore plus l’expression de toute forme de critique sur les réseaux sociaux, tout en faisant pression sur lui-même et son ONG. Genevois, Suisse et Egyptien, Mohamed Lofty témoigne de cette affaire suivie par le ministère suisse des affaires étrangères, comme précisé à swissinfo.ch.

swissinfo.ch: Que reproche la justice à votre épouse emprisonnée?

Mohamed Lotfy: Elle est accusée dans deux procédures. L’une est menée par le procureur de Maadi, un quartier du Caire où nous habitons et l’autre par le procureur de la sécurité d’Etat. Et ce à la suite d’une vidéo que mon épouse a posté sur Facebook où elle dénonçait avec colère le harcèlement sexuel qu’elle venait de subir.

Rapidement, la vidéo a été abondement reprise et chargée sur des pages progouvernementales du réseau pour dénoncer une activiste qui insulte l’Egypte. Le jour suivant, la presse progouvernementale a redoublé ces attaques, y compris en me mentionnant comme le responsable d’une ONG douteuse. Et le lendemain, la sécurité d’Etat a débarqué chez nous à deux heures du matin pour l’arrêter.

Le parquet de Maadi l’accuse d’avoir fait un mauvais usage de l’internet avec cette vidéo qui inciterait rien moins qu’au renversement du régime égyptien et qui contiendrait de fausses informations nuisant à la paix publique.

La question du harcèlement sexuel n’a pas été prise en compte ?

Pas du tout. Elle a pourtant expliqué au procureur qu’elle avait subi des attouchements d’un chauffeur de taxi pendant qu’elle réglait la course, tout en subissant l’hostilité de la foule qui s’était amassée autour du taxi. Juste après, le garde d’une banque où elle s’était rendue l’a menacée de lui «faire sa fête», tout en se caressant les parties.

C’est donc particulièrement excédée qu’à son retour chez nous, mon épouse a fait cette vidéo ou elle exprime son ras-le-bol à l’encontre de son pays et de ses autorités.

Les autorités cherchent-elle par-là à vous intimider?

Absolument. Comme ma femme, beaucoup de gens expriment leurs critiques et leurs colères contre le gouvernement sur les réseaux sociaux. Mais ils ne peuvent pas arrêter tout le monde. En emprisonnant mon épouse, ils lancent un avertissement général, tout en cherchant à m’atteindre et entraver mon travail. Ma nationalité suisse reste un facteur de protection. Mais aujourd’hui je dois prendre des précautions supplémentaires pour notre enfant et pour moi-même.

La répression contre la liberté d’expression ne faiblit donc pas, même après la réélection triomphale du président Abdel Fattah al-Sissi?

Beaucoup de gens pensaient que le régime allait se calmer après cette victoire. Mais il continue sur la même trajectoire. La peur est revenue parmi les activistes politiques et la société civile en général, car un nouveau seuil a été franchi, avec un niveau de répression inimaginable il y a un an. Ça fait vraiment peur. Des figures politiques qu’on pensait intouchables se font arrêter. Jamais de telles figures politiques laïques ou séculaires n’avaient été visées jusqu’à maintenant.

Les médias étant sous contrôle, l’internet et les réseaux sociaux sont de plus en plus bridés. Plus de 700 sites web sont bloqués en Egypte, comme Reporters sans frontières. Et le Parlement discute d’un projet de réseau social égyptien que le gouvernement pourrait contrôler.

Qu’attendez-vous de la communauté internationale?

C’est très décevant qu’il y ait si peu de réactions. L’Egypte a un rôle majeur à jouer pour la stabilité de la région. Or ce gouvernement fait le maximum pour éliminer toute forme d’opposition pacifique. Mais l’absence d’un espace démocratique risque de donner un nouveau souffle aux groupes terroristes que le gouvernement combat.

 

L'UE dénonce, l’Egypte nie

L'Union européenne a dénoncé le 30 mai les arrestations d'opposants et de personnalités de la société civile en Egypte, à la suite de la réélection du président Abdel Fattah al-Sissi.

«Le nombre croissant d'arrestations de défenseurs des droits de l'Homme, de militants politiques et de blogueurs ces dernières semaines en Egypte est une évolution inquiétante», a déploré la porte-parole de la représentante de la diplomatie de l'UE, Federica Mogherini, dans un communiqué.

«La stabilité et la sécurité durables ne peuvent aller de pair qu'avec le plein respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Les défenseurs des droits fondamentaux et de la démocratie ne doivent pas craindre des représailles. Nous attendons des autorités égyptiennes qu'elles respectent la Constitution et les obligations internationales», a ajouté la porte-parole, Maja Kocijancic.

Au Caire, le ministère des Affaires étrangères a rejeté ces critiques: «L'Egypte est un Etat de droit» et les Egyptiens y jouissent «de la liberté d'expression et d'opinion. Pas un citoyen en Egypte n'est arrêté ou jugé en raison de ses activités dans le domaine des droits de l'Homme ou pour avoir critiqué le gouvernement, mais pour avoir commis des crimes punissables par la loi», a affirmé le porte-parole du ministère dans un communiqué.

Source: AFP