OPINION

Le TPIY, forces et limites de la justice internationale

Le TPIY, forces et limites de la justice internationale©Robin Van Lonkhuijsen/AFP
Radovan Karadzic, l'ancien chef politique des Bosno-Serbes, a été condamné à 40 ans de prison.
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Pressions politiques, intimidations de témoins, assassinat d’un premier ministre serbe pour sa collaboration avec la justice internationale, jugements controversés, l’histoire du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et de ceux qui l’ont côtoyé a l’odeur et le goût de la fiction. Mais pourtant derrière le roman du TPIY se dessinent des enjeux majeurs en termes de relations internationales ainsi qu’un héritage complexe pour les sociétés de l’ex-Yougoslavie.

Depuis longtemps, le TPIY n’avait plus fait l’actualité comme ces derniers jours : condamnation justifiée à 40 ans de prison pour Radovan Karadzic – le chef politique des Bosno-Serbes – pour sa responsabilité dans les politiques de nettoyage ethnique ; emprisonnement absurde à six jours de prison de la journaliste française Florence Hartmann, pour avoir divulgué des documents ; acquittement-surprise de l’ultranationaliste serbe, Vojislav Seselj. Une fois encore, les décisions du TPIY ont déçu certains et en ont ravi d’autres.

Justice à la solde de l’OTAN ? Cirque juridico-médiatique ? Instrument essentiel pour rétablir la paix et construire la réconciliation ? Vingt-trois ans après sa création et vingt mois avant sa fin programmée, le TPIY est toujours honni ou, au contraire, célébré comme une étape majeure dans la lutte contre l’impunité.

Trois acquittements controversés

L’acquittement, le 31 mars, de Vojislav Seselj restera sans doute comme l’un des trois grands procès du TPIY qui frustreront le plus les victimes, avec celui de l’ex-premier ministre du Kosovo, Ramush Haradinaj et celui du général croate, Ante Gotovina.

Portrait du général Ante Gotovina,
héros pour les nationalistes croates.
hugovk/Flickr, CC BY-NC-SA

 

 

Rappelons qu’en 1991, 200 blessés croates alors prisonniers de guerre avaient été froidement assassinés par des soldats serbes ainsi que par des paramilitaires, des volontaires du Parti radical serbe fondé par Seselj. Après l’avoir incarcéré pendant 12 ans, les juges du TPIY ont estimé, malgré tout, que Seselj s’était borné à défendre l’idée d’une grande Serbie et avait participé à « l’effort de guerre » sans avoir une responsabilité directe dans les crimes commis en Croatie et en Bosnie entre 1991 et 1995.

Pourtant, Seselj avait levé une milice, les Aigles blancs, qui s’était illustrée de sinistre manière, et avait affirmé que « si nécessaire, il achèverait lui-même les Croates avec une fourchette rouillée ». Des propos que le TPIY n’a curieusement pas assimilés à de l’incitation à la haine.

Ce jugement – qui pourrait être revu en appel – s’ajoute à deux autres acquittements très controversés du TPIY. On citera d’abord celui de Ramush Haradinaj, accusé de crimes de guerre contre des Serbes et des Roms et dont les témoins-clefs se sont, soit volatilisés, soit sont morts de manière suspecte ou se sont encore rétractés. Il en va de même pour le général croate, Ante Gotovina, condamné en première instance à 24 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité avant d’être acquitté en appel.

Gotovina avait été le responsable de l’opération « Tempête » qui visait à reconquérir en 1995 les Krajinas occupées par les forces serbes. Cette opération s’était soldée par la fuite de 200 000 Serbes, dont les familles étaient parfois établies depuis des siècles sur ces territoires.

Une révolution juridique

Alors que 149 procédures sont désormais closes (dont 19 acquittements), comment appréhender plus de deux décennies de vie du TPIY, au-delà de ces trois jugements qui ont, en partie, entaché la crédibilité du tribunal ? Sans doute faudrait-il répondre comme Zhou Enlai, qui interrogé sur l’analyse qu’il portait sur la Révolution française deux siècles après qu’elle se soit produite, jugeait qu’il était encore trop tôt pour répondre.

Mais passons outre pour constater que le TPIY a été le déclencheur d’une révolution juridique aux effets très politiques. Qui aurait pensé que les murs de la souveraineté nationale puissent être remis en cause si fondamentalement ? Qui aurait imaginé il y a seulement 25 ans que des présidents en exercice puissent un jour être accusés de crimes contre l’humanité ? C’est pourtant ce qu’a fait la Cour pénale internationale créée dans le sillage du TPIY.

Les décisions du TPIY font aujourd’hui jurisprudence sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. Le viol a reçu une attention sans précédent puisque près de la moitié des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles. C’est aussi le premier tribunal pénal international à avoir considéré que le viol utilisé comme une torture ou à des fins d’esclavage sexuel constituait un crime contre l’humanité.

Dans le temps de la guerre

Institution post-Guerre froide, le TPIY a introduit la justice internationale dans le temps même de la guerre. Un audacieux pari aux résultats mitigés. En réalité, l’impératif de la recherche de la paix a primé sur celle de la justice. Ainsi, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, les deux principaux chefs bosno-serbes en charge des politiques de nettoyage ethnique, n’ont été inculpés qu’après les massacres de Srebenica de juillet 1995, car jusque-là, ils étaient considérés comme des partenaires indispensables pour un accord de paix.

Un homme prie en mémoire de son fils tué lors du siège de Sarajevo, le 14 mars 2016. Elvis Barukcic/AFP

 

Depuis, de nombreux efforts ont été accomplis pour mieux réguler la tension entre la recherche de la paix et de la justice, mais celle-ci subsiste toujours : il suffit de voir les tergiversations et les volte-face des puissances occidentales à l’égard du président syrien, Bachar al-Assad. Pour moralement séduisante que soit l’idée d’une justice en temps de guerre, est-elle efficace ?

De fait, l’environnement politique a conditionné l’action du TPIY, indépendamment de la qualité des juges. Cela s’est vérifié une nouvelle fois lorsque les grands pays occidentaux, principaux soutiens du TPIY, se sont trouvés engagés dans une confrontation militaire avec la Serbie, et que le porte-parole de l’OTAN mit en garde le tribunal, affirmant « qu’il ne fallait pas mordre la main qui vous nourrit »… Difficile exercice d’indépendance pour un tribunal, soumis à la bonne volonté des Etats pour accéder aux lieux de crimes, obtenir des preuves, consolider des actes d’accusation et appréhender des inculpés.

Négationnisme vivace

Reste le point le plus délicat : quel a été l’impact du premier tribunal pénal international pour les sociétés de l’ex-Yougoslavie ? Même s’il est trop tôt pour prononcer un jugement d’ensemble, le résultat à l’heure actuelle est en demi-teinte. En dépit des quelques jugements controversés, le TPIY a écrit l’histoire des guerres de l’ex-Yougoslavie des années 1990. Il a amplement documenté les crimes commis par tous les protagonistes. Vingt accusés, et non des moindres, ont plaidé coupables. Ce n’est pas rien.

Il faut cependant ajouter que la majorité des populations de l’ex-Yougoslavie n’ont jamais adhéré au travail du tribunal et que le négationnisme reste vivace. Les propagandes nationalistes ont leur part de responsabilité dans cet échec. In fine, l’expérience du TPIY suggère surtout qu’un tribunal international ne peut trouver sa véritable efficacité comme instrument de réconciliation que s’il s’inscrit dans un processus politique de rapprochement entre ex-ennemis infiniment plus vaste.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.