La douloureuse quête de vérité d'une famille victime de l'apartheid

La douloureuse quête de vérité d'une famille victime de l'apartheid©GIANLUIGI GUERCIA / AFP
La mère de Nokuthula
2 min 50Temps de lecture approximatif

Le diplôme universitaire de Nokuthula Simelane est accroché dans le salon de sa mère. Mais cette jeune militante anti-apartheid a disparu en 1983 avant de le recevoir. Trente-trois ans après, le procès de ses meurtriers présumés s'ouvre vendredi en Afrique du Sud.

Le corps de Nokuthula, jolie Sud-Africaine de 23 ans, n'a jamais été retrouvé. Sa mère, qui avait longtemps pensé qu'elle vivait dans la clandestinité, n'a appris qu'en 1995, après la chute du régime d'apartheid, qu'elle avait été enlevée et assassinée par des policiers.

Depuis la famille se bat pour que justice soit rendue.

"Nous avons appris, lors de la Commission vérité et réconciliation (TRC), où elle a été kidnappée, les tortures qu'elle a subies (...), mais nous voulons savoir ce qui lui est arrivé au final", explique sa soeur, Thembi Nkadimeng.

La TRC, qui a siégé de 1996 à 1998, a enquêté sur les crimes politiques commis en Afrique du Sud par le régime ségrégationniste d'apartheid, qui a officiellement pris fin avec l'arrivée au pouvoir de Nelson Mandela en 1994.

Le principe de la TRC était révolutionnaire: les bourreaux et donneurs d'ordre qui le souhaitaient y avouaient leurs crimes politiques, et en échange d'une révélation pleine et entière des faits, ils obtenaient l'amnistie.

Trois des meurtriers présumés de Nokuthula, tous des policiers, y ont comparu. Mais l'amnistie leur a été refusée, la commission estimant qu'ils n'ont pas révélé toute la vérité.

Au total, la TRC a recommandé des poursuites dans 300 affaires pour les personnes qui avaient été exclues de l'amnistie. Mais à ce jour, "seule une poignée" ont été traitées, constate avec amertume Desmond Tutu, ex-archevêque et président emblématique de la TRC.

La décision de poursuivre quatre anciens policiers de l'apartheid pour l'enlèvement et le meurtre de Nokuthula est donc "extrêmement significative et historique", se réjouit le prix Nobel de la paix.

"Nous espérons que les assassins nous aideront à localiser la dépouille de Nokuthula", confie avec sobriété et dignité Thembi Nkadimeng, maire de Polokwane (nord), engagée corps et âme dans cette longue bataille juridique.

"Si on me donne les restes de mon enfant, si on me dit enfin la vérité, je pourrai enfin tourner la page", ajoute sa mère, Ernestina Simelane, 75 ans, dans sa maison d'un township de Bethal (nord-est).

Complicité entre l'ancien et le nouveau pouvoir 

Sur la commode de son salon, trône une photo de Nokuthula. Dans une besace et un sac plastique, Ernestina conserve précieusement les coupures jaunies des articles retraçant son calvaire.

C'est le 6 février 1995 qu'elle découvre la vérité en lisant le quotidien sud-africain Sowetan. En Une, la photo de sa fille et un article intitulé "Des policiers ont piégé et tué une cadre du MK", la branche armée du Congrès national africain (ANC), fer de lance de la lutte contre l'apartheid. Un ancien policier y révèle, sous couvert d'anonymat, le sort réservé à Nokuthula, qui transportait des messages pour MK.

"J'ai cru que j'allais m'évanouir", raconte Ernestina, la voix tremblante.

Toutes ces années, la mère avait cherché sa fille. "Je suis allée au Botswana où l'ANC m'a dit que Nokuthula était à l'étranger, que c'était difficile de la localiser. Je pensais qu'elle était vivante."

Le chemin jusqu'à l'ouverture vendredi à Pretoria de leur procès fut "douloureux et semé d'embûches", résume l'avocat de la famille Simelane, Muzi Sikhakhane. "Nous trouvons scandaleux que la famille ait dû persuader la machine post-apartheid de poursuivre un crime perpétré contre l'une des leurs", assène-t-il.

Un ancien commissaire de la TRC, Dumisa Ntsebeza, va plus loin. "Il est inquiétant de constater que 22 ans après l'avènement de notre démocratie, nous arrivons à la seule conclusion qu'il y a eu des arrangements entre l'ancien pouvoir et le nouveau pouvoir pour garder des affaires en suspens."

"Dans notre société, on insiste beaucoup sur la réconciliation et trop peu sur la vérité", estime Janet Love, de la Commission sud-africaine des droits de l'Homme. "Tant que notre pays n'aura pas assumé la responsabilité des crimes contre l'humanité qui ont été perpétrés, l'apartheid continuera", prévient-elle.

La soeur de Nokuthula acquiesce. Elle espère que le procès "permettra de rouvrir tous les dossiers (de l'apartheid) qui traînent dans une boîte chez le procureur".