Burundi : des ONG demandent un débat urgent au Conseil des droits de l’Homme

Burundi : des ONG demandent un débat urgent au Conseil des droits de l’Homme©Photo IRIN
Barricades en feu à Bujumbura
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Enième assassinat au Burundi : Patrice Gahungu, porte-parole d'un petit parti de l'opposition, a été abattu dans la nuit de lundi à mardi à Bujumbura.  Qui tue qui au pays des Bashingantahe (les Hommes intègres, en langue burundaise) ? Des inconnus, selon les forces de l’ordre.

Les assassinats se sont multipliés ces derniers mois dans la capitale burundaise, suivis d’enquêtes annoncées par la police sans que les résultats soient publiés.

Les organisations locales et internationales des droits de l’Homme ont beau tirer la sonnette d’alarme : chaque nuit apporte son lot d’angoisses et de peurs. Et les Burundais qui le peuvent franchissent les frontières nationales en catimini, grossissant les rangs de réfugiés, surtout dans les pays voisins.

Alors que s’ouvre le 14 septembre la 30ème session du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, des ONG internationales lancent un nouvel appel. Dans une lettre ouverte aux à l’attention des représentants permanents des États membres et observateurs du Conseil, cinq organisations, dont la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et Human Rights Watch (HRW), exhortent les délégués « à répondre de manière adéquate à la détérioration de la situation des droits humains au Burundi afin de prévenir de nouvelles violations graves ».

« Dans un contexte de crise politique grandissante, des mesures urgentes sont nécessaires pour suivre au plus près les développements sur le terrain, renforcer la protection des défenseurs des droits de l’Homme, des journalistes et des membres et partisans de partis d’opposition, et permettre que davantage de rapports sur les violations commises dans le pays soient rendus publics de manière régulière », demande la lettre. « Le Conseil des droits de l’Homme devrait adopter une résolution visant à prévenir de nouvelles violations graves des droits humains », recommandent les signataires, dont font également partie les ONG Civicus, World Alliance for Citizen Participation et East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project (EHAHRDP).

 

 

Surveiller de près la situation au Burundi

 

Ces organisations demandent notamment au Conseil des droits de l’homme d’exhorter « le gouvernement burundais à permettre aux stations de radio privées, qui ont été suspendues pendant plusieurs mois, de reprendre leur diffusion ». Elles appellent ce Conseil à « convoquer un débat urgent sur la situation des droits humains au Burundi ». D’autres mesures appropriées sont demandées,  « y compris d’établir un mandat de Rapporteur spécial des Nations unies doté de pouvoirs complets de surveillance et de documentation de la situation (au Burundi) ainsi que de présentation de rapports ».

En juin dernier, lors de la 29ème session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme, un groupe transrégional de 47 États avait signé une déclaration orale conjointe dans laquelle ils exprimaient leurs préoccupations au sujet des violations des droits humains au Burundi, notamment l’usage excessif de la force par les services de sécurité à l’encontre des manifestants et les restrictions aux droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Ils déploraient également un climat général d’intimidation à l’égard des partis d’opposition, des journalistes et de la société civile, et exhortaient les autorités à mener des enquêtes impartiales et indépendantes sur les violations des droits humains afin de traduire les responsables en justice. Ils soulignaient aussi la nécessité pour le Conseil de droits de l’Homme de surveiller de près la situation au Burundi et de jouer un rôle actif de soutien dans la prévention d’une aggravation de la situation et de contribuer à une solution politique durable à la situation.

« Malheureusement, depuis juin, la situation des droits humains au Burundi a continué à se détériorer », déplore la lettre ouverte. Le 2 août, le général Adolphe Nshimirimana, ancien chef des services de renseignement et proche allié du président Pierre Nkurunziza, est tué dans une attaque à la roquette. Quelques heures plus tard, l’éminent défenseur des droits de l’homme Pierre-Claver Mbonimpa est grièvement blessé par balles, le journaliste Esdras Ndikumana, correspondant de RFI et de l’AFP, est sévèrement battu par des agents des services de renseignements. Le président Nkurunziza attendra plus d’une dizaine de jours pour condamner cette attaque qui, d’ailleurs aux yeux de de son porte-parole, Willy Nyamitwe, ne constitue qu’ « un impair ».

 

 

« Un phénomène d’attaques de représailles »

 

Deux semaines plus tard, c'est une autre figure emblématique qui tombe, toujours à Bujumbura :   le colonel Jean Bikomagu, qui était chef d'état-major de l'armée en 1993, à l'époque de l'assassinat du premier président hutu du Burundi, est abattu devant le portail de sa maison.

« Au moment où nous rédigeons cette lettre, les tensions restent fortes, étant donné que de nombreux acteurs de l’opposition ne reconnaissent pas la légitimité de l’élection de M. Nkurunziza pour un troisième mandat », poursuivent les cinq organisations. Une situation qui, de l’avis de ces observateurs, « pourrait déclencher d’autres violations graves des droits humains ».

Sourd aux innombrables demandes de report de la part de la communauté internationale et de l’intérieur même du Burundi, le président Pierre Nkurunziza s’est fait plébisciter le 21 juillet pour un troisième mandat jugé anticonstitutionnel, y compris au sein de son propre parti. Il a « triomphé sans gloire » lors d’une investiture à la sauvette le 20 août dernier.

« Les derniers jours ont été témoins d’une augmentation des assassinats ciblés, les victimes incluant des membres du parti au pouvoir ainsi que des groupes d’opposition, ce qui indique un phénomène d’attaques de représailles », souligne cette énième alerte, avant de conclure : « La situation au Burundi exige l’attention urgente du Conseil de droits de l’Homme ».