Burundi : les Églises catholique et anglicane interviennent

Burundi : les Églises catholique et anglicane interviennent©Flickr
Revue des troupes par le Président burundais
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La coïncidence est-elle de bon augure pour le Burundi? Alors que l'Archevêque de Canterbury, Mgr Justin Welby,  effectuait une visite la semaine dernière à Bujumbura, la Conférence des Évêques catholiques du Burundi se réunissait en Assemblée plénière, dans le centre du pays. Comme s'ils s'étaient préalablement concertés, le chef de l'Église anglicane et les prélats catholiques burundais ont lancé un appel urgent à l'ouverture d'un dialogue sans exclusive comme seul moyen de sortir le pays de la grave crise qu'il traverse depuis bientôt une année. Ces églises catholique et  anglicane qui regroupent plus de 70% des Burundais ont- elles plus de chance d'être mieux entendues que les innombrables voix qui s'élèvent en vain depuis l'année dernière?

 Dans le communiqué de presse publié le 4 mars au terme de leurs échanges de trois jours à Gitega, les plus hauts responsables de l'Église catholique du Burundi s'efforcent d'éviter le langage alarmiste, sans doute pour ne pas saper davantage le moral de leurs fidèles. Ils avouent néanmoins que « le pays semble se trouver à la croisée des chemins », et exhortent les hommes et les femmes politiques burundais à « se demander où ils sont en train de conduire la Nation ».

Ce petit pays d'Afrique centrale traverse une profonde crise politique depuis la candidature en avril 2015 du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat consécutif auquel il a accédé en juillet au terme d'un processus électoral boycotté par ses principaux adversaires qui l'accusent d'avoir violé les textes fondamentaux, notamment l'Accord de paix signé à Arusha, en Tanzanie, en 2000 et qui est considéré comme le socle du Burundi nouveau.

La crise a déjà fait plus de 400 tués, poussé près de 250.000 Burundais à l'exil tandis que des milliers d'autres ont été arrêtés notamment pour leur participation présumée à la tentative de coup d'État de mai 2015.

En bons pédagogues, les évêques catholiques du Burundi retracent sommairement l'évolution politique du Burundi depuis la monarchie abolie en 1966 à l'actuelle démocratie multipartite en péril, en passant par les régimes militaires issus de coups d'État sous le parti unique et les premiers pas « laborieux » du multipartisme en 1993. Un multipartisme qui fut vite « étouffé », selon ces responsables religieux qui se souviennent que pour restaurer la démocratie, les Burundais eurent recours à la négociation mais aussi à la rébellion. « Cependant, au bout du compte, ce fut le dialogue et la négociation qui permirent au pays de traverser la crise; grâce à l'Accord d'Arusha de 2000 entre les politiciens en conflits ainsi que d'autres accords qui furent signés par la suite entre les tenants du pouvoir et les chefs des rébellions », rappellent les évêques à leurs concitoyens.

Ainsi, selon ces prélats, «le socle » qu'est l'Accord d'Arusha avait apporté au pays,  « une démocratie de consensus, basée sur le multipartisme, permettant de bonnes élections compétitives, en donnant au peuple l'occasion de choisir parmi  plusieurs partis ».

 

« Quel est la nouvelle voie d'accès au pouvoir? »

  

Mais tout a basculé depuis l'année dernière. « Maintenant que certains partis ont été détruits et sont en déconfiture, que  d'autres sont sous le coup d'interdiction de fonctionnement, que l'organisation des élections est devenue problématique, quel est le régime politique que nous voulons mettre sur pied ? », interrogent ces évêques. « Quelle est la nouvelle voie d'accès et de succession au pouvoir ? Souhaitons-nous le mode où les populations vont aller voter dans la contestation ou sous l'intimidation d'un parti unique qui se choisira ses satellites pour l'accompagner ? », demandent encore ces hommes d'église.

« D'un côté, il y a des politiciens de la mouvance du pouvoir et leurs alliés qui ont tous les moyens d'exprimer leurs opinions à l'intérieur du pays, et d'un autre côté, il y a des politiciens de l'opposition, dont la plupart se trouvent actuellement en exil, et qui ne peuvent s'exprimer que par des médias étrangers », constatent les évêques en dénonçant une situation qui ne saurait perdurer. « Ce qui est encore plus préoccupant, c'est que ce manque de dialogue entre les protagonistes en conflit est en train de couvrir des tueries qui continuent, des disparitions de personnes dont les cadavres sont  découverts dans des fosses communes. Cette situation est aussi en train de nous causer des difficultés avec certains de nos voisins et la communauté internationale, ce qui aggrave notre situation de pauvreté en privant ainsi notre pays de certaines de ses aides financières. Tout cela crée un désespoir chez les jeunes, ce qui peut les pousser à s'engager dans des chemins sans issue », déplore encore le communiqué.

Les évêques poursuivent leur texte en interpellant leurs dirigeants politiques dont la plupart se réclament du Christ à commencer par le président Pierre Nkurunziza, évangéliste très pratiquant. « Un politicien croyant, qui aime Dieu et qui aime sa patrie et ses concitoyens, peut-il accepter de poursuivre ce chemin de refus de rencontre ? ». Sans attendre de réponse à leur question oratoire, ils estiment que « celui qui refuse la voie du dialogue permet à ceux qui veulent détruire notre pays de réaliser leur sale besogne, en passant même par les violences ». 

 

 « Un dialogue inclusif doit être vraiment inclusif »

  

Alors que les Évêques catholiques du Burundi concluaient leur Assemblée plénière, le chef de l'Église anglicane sur la Planète, Mgr Justin Welby, venait d'entamer une visite de trois jours dans le pays. L'Archevêque de Canterbury s'est joint lors de son séjour au lancement officiel par le président Pierre Nkurunziza de la phase opérationnelle des travaux de la Commission Vérité et Réconciliation du Burundi, une institution à la tête de laquelle se trouvent un évêque catholique et un évêque anglican. Lors de sa visite, Mgr Welby a aussi rencontré les quelques représentants de partis d'opposition se trouvant encore au Burundi, d'autres responsables religieux mais aussi des chrétiens ordinaires, de simples paroissiens. Lors d'une conférence de presse, le samedi 5 mars, au terme de son séjour, « le Pape des Anglicans » a joint son appel à celui de l'église catholique burundaise, en insistant sur le dialogue inclusif, comme s'il s'adressait au Pierre Nkurunziza qu'il venait de rencontrer. «Un dialogue inclusif doit être vraiment inclusif », a déclaré le primat de l'église anglicane. Semblant lâcher du lest à l'occasion de la visite du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon en février dernier, le président burundais avait dit : « Ce dialogue concerne tous les Burundais à l'exception de ceux qui sont engagés dans des actes de déstabilisation ».

Mgr Justin Welby n'est pas de cet avis. Pour lui, le dialogue doit être ouvert à tout le monde y compris « les combattants ». « En Irlande du Nord, nous avons dû inclure tous les protagonistes possibles (…) Il faut des sacrifices pour avoir la réconciliation. Elle coûte cher en termes de sacrifices. Et c'est à tout le monde dans le processus de se préparer à faire des sacrifices pour avoir la paix», a insisté l'Archevêque de Canterbury, soulignant que « la situation est vraiment très grave » au Burundi.

Le prélat a enfin appelé les élites burundaises à penser aux pauvres, dont la vulnérabilité est aggravée par cette crise politique qui a entraîné l'effondrement d'une économie qui comptait déjà parmi les plus faibles de la planète. Il a enfin promis de s'adresser par écrit aux Nations unies et à l'Union européenne, et de s'entretenir, au sujet de la crise burundaise, avec le chef du gouvernement britannique.

 Ce double appel pastoral  des Églises catholique et anglicane a-t-il plus de chance d'être mieux entendu que celui des plus hauts dirigeants politiques du monde entier, dont certains se sont déplacés ces derniers jours à Bujumbura sans obtenir d'engagement pour « un dialogue vraiment inclusif »?