" L'ONU DOIT EXIGER LA PARTICIPATION DES FEMMES AUX PROCESSUS DE PAIX", SELON UNE MILITANTE CONGOLAISE

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Débat au Conseil de Sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, le 13 octobre 2015
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Le 31 octobre 2000,  l'ONU adoptait la résolution 1325 qui demande la participation des femmes à tous les niveaux des processus de paix. Quinze ans après, les résultats sont maigres. Selon un rapport récent de UN Women sur l'application de cette Résolution, « même si la participation des femmes dans les processus de paix formels  est en croissance, une étude portant sur 31 processus de paix majeurs entre 1992 et 2011 a révélé que seulement 9 % des négociateurs étaient des femmes – un chiffre négligeable au regard des sujets en question  ».  Le rapport indique aussi que « malgré des efforts considérables de la communauté internationale pour encourager les Etats –membres à avoir des processus inclusifs en vue de formuler des plans d'action concernant les femmes, la paix et la sécurité, seulement 54 pays ont formulé ce type de plans d'action. Beaucoup de ces plans sont axés sur le processus, sans mécanisme permettant de rendre compte ni de budget pour une réelle exécution ». C'est le cas notamment de la République démocratique du Congo (RDC), un pays en proie à des conflits quasi structurels.

Julienne Lusenge est directrice du Fonds pour la femme congolaise et présidente de l'ONG Sofepadi. Dans une intervention le 13 octobre devant le Conseil de sécurité de l'ONU lors d'un débat ouvert sur la question, elle a dressé un constat amer. "Quinze ans après, nous continuons à subir des violences partout dans le monde et surtout en RDC (…) La Résolution n'a pas aidé les femmes à vivre dans la paix, la Résolution n'a pas aidé à assainir le milieu où vivent les femmes, la Résolution n'a pas amené les femmes aux processus de paix » . Lors d'un passage à Genève, elle a répondu aux questions de JusticeInfo.Net.

Julienne Lusenge : En RDC,  nous avons plusieurs guerres, plusieurs groupes armés qui continuent à menacer, à tuer, à massacrer. Donc la Résolution finalement n’a pas aidé les femmes. (…) C’est bien écrit sur le papier mais quand il s’agit d’élaborer le programme pour le processus de paix, quand les femmes viennent pour demander, pour réclamer conformément à la Résolution, elles ne sont pas vraiment les bienvenues. 

JusticeInfo.Net : Quelque part, ce n’est pas étonnant que les miliciens et les hommes politiques ne veulent pas que les femmes participent. Qu’est-ce qu’il faut faire pour changer cette situation ? 

JL : Ce que l’Onu doit faire c’est exiger notre présence. Donc à chaque processus de paix, qu’il y ait trois parties. Les femmes font une partie, et les deux autres acteurs sont là, et l’ONU doit mettre cela dans son agenda dès le départ. Et que ce soit les groupes armés, que ce soit les politiciens qui semblent dire ‘on ne veut pas les femmes, ici c’est une situation difficile, c’est les hommes qui doivent gérer’, en réalité ce n’est pas vrai. Parce qu’ en dehors des voies officielles il y en a qui envoient des femmes pour faire la médiation en leur nom, pour les connecter avec les belligérants. Donc je me dis, il faut qu’ils acceptent de nous laisser participer officiellement aux différents processus de paix.   

JusticeInfo.Net : Donc vous êtes pour une espèce de quota, une délégation féminine obligatoire ? 

JL : Pour les processus de paix, je dis oui, parce que sinon on n’aura pas de femmes. Mais cela ne veut pas dire que les dirigeants vont élire ou sélectionner un groupe de femmes pour aller là-bas. C’est nous-mêmes, les femmes, à partir de la base, qui devons choisir des déléguées pour aller dans ces processus. Donc c’est cela notre principe. On ne veut pas des gens qui soient nommés, on veut des gens qui partent de la base, désignées par la base à cause de leur expérience. 

JusticeInfo.Net : Dans votre intervention aux Nations Unies, vous avez fait aussi d’autres recommandations. Vous avez parlé, je crois, de la justice ? 

JL : Oui, parce que pour moi la justice consolide la paix et la paix se nourrit de la justice. Il est important qu’on puisse travailler sur la justice pénale mais aussi pour la justice transitionnelle, pour que les gens puissent connaître la vérité. Nous avons demandé qu’on puisse nous aider à installer des chambres mixtes spécialisées pour traiter des crimes que la CPI n’a pas pris en compte, et aussi nous aider à mettre en place une commission Vérité et Réconciliation pour aider les gens à connaître la vérité sur les disparitions, sur la mort de beaucoup de gens qui ont été tués dans ce pays. Ça c’est très important. Toutefois, nous demandons aussi et nous exigeons la réforme effective de la justice nationale. Il faut qu’on aide les acteurs en les formant, en les équipant, en améliorant leurs conditions de travail et qu’on construise les prisons. Parce que si ce n’est pas fait, on n’arrivera jamais à améliorer la situation. 

JusticeInfo.Net : Est-ce qu’il y a d’autres choses que l’ONU doit faire, selon vous, pour qu’on voie vraiment des résultats par rapport à cette Résolution ? 

JL : Oui, nous demandons que l’ONU repense sa façon de constituer les missions de paix, parce que finalement avec l’expérience du Congo, avec toutes les années que la Mission est là, on n’arrive pas à mettre fin à tous ces bandits, ces groupes armés qui continuent à tuer et à violer les femmes. Donc comment faire pour que la Résolution soit concrète, comment l’ONU peut aider pour que les missions de maintien de la paix restaurent effectivement la paix? Nous voulons que l’ONU puisse réfléchir sur ça et nous donner des réponses rapidement pour que nous ayons la paix.

Deuxième chose, c’est le soutien, avec des moyens financiers, des groupes de base. On dit qu’ on veut travailler avec les groupes de femmes, mais les Etats maintiennent les procédures. A Genève ici, je ne peux pas avoir de financements parce que je suis une organisation locale au Congo. Mais si c’était une organisation genevoise, j’aurais le financement. Il y a de l’argent ici, mais ils ne peuvent pas me le donner parce que je représente une organisation congolaise. On dit une chose et son contraire. Nous sommes engagées, nous avons la volonté, nous avons l’énergie. Mais nous voulons avoir les moyens pour faire correctement notre travail d’une façon durable, pour changer les mentalités, changer les comportements, changer les coutumes pour que nos enfants puissent un jour jouir de leurs droits humains au même titre que les autres femmes dans le monde.     

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