Centre de Mémoire de Bogota : pionnier de la mémoire en Colombie

Centre de Mémoire de Bogota : pionnier de la mémoire en Colombie©Christine Renaudat
Centre de Mémoire, Paix et Réconcilation, Bogota
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Inauguré à Bogota en décembre 2012 , le Centre de Mémoire, Paix et Réconcilation se veut un espace de rencontre, plus qu’un musée. 

C’est un monolithe couleur de terre percé de fenêtres étroites qui, la nuit, paraissent briller comme des flammes et le jour se reflètent dans quatre miroirs d’eau. Au fond,  la cordillère des Andes, sur un côté, le Cimetière Central de Bogota. “La Paix est pour maintenant” assure une grande affiche suspendue à l’entrée du parc où, pendant des années, les dirigeants de l’actuel Centre de Mémoire paix et réconciliation (CMPR) ont rêvé, sans pouvoir encore le construire, ce lieu symbolique.

Le projet nait en 2008, à l’initiative de la mairie de gauche de Bogota. En 2010, lorsque la construction commence, les architectes découvrent que les travaux prendront du temps:  sous le terrain choisi, ancien cimetière de pauvres créé en 1828, se trouvent 3600 corps qu’il faut sortir un à un. “Cette tâche prendra deux ans. Ces morts ne sont pas des victimes de la guerre, mais ils ont permis aux anthropologues de connaître les coutumes de l’époque. Ils ont fait l’objet de notre première exposition”, raconte Roberto Romero.

Cet ancien militant de l’Union Patriotique, mouvement de gauche décimé durant les années 80 par les escadrons de la mort d’extrême droite, fait partie de l’équipe fondatrice du Centre de mémoire. Sa voix qui rebondit sur les parois de l’impressionnant navire érigé au milieu du terrain, explique comment, dès sa création, l’endroit a été conçu comme un lieu de rencontre.” Durant les années de fouille et de construction des milliers de victimes sont venues ici: syndicalistes, journalistes, populations afro-américaines, indiens, responsables politiques…”, commence-t-il, avant de montrer des tubes à essai enfoncés dans les murs. Dans chacun, ces visiteurs ont glissé leur histoire écrite sur une feuille de papier et y ont jeté une poignée de terre, symbole de l’une des principales causes du conflit colombien. “Ces 2012 capsules de mémoire sont un échantillon des 40 000 témoignages conservés dans nos archives. Ici se trouvent aussi les messages de nos visiteurs illustres: le président colombien, le premier ministre français, et même le Prince de Galles! ”,  lance-t-il en souriant.

Derrière le hall monumental, sous le niveau de l’avenue où grondent bus et voitures, ont été construits un centre de documentation de 400 m2, un théâtre, des bureaux où travaillent historiens, sociologues et animateurs culturels, et plusieurs espaces d’expositions temporaires. Pas d’expositions permanentes. “Nous ne sommes pas un musée qui montre des objets. C’est un projet vivant, d’inclusion, qui parle de nos luttes sociales, nos rêves”, insiste Roberto Romero. Dans un petit atelier de gravure, un groupe de femmes et d’hommes arrivés comme des milliers d’autres à Bogota pour fuir la violence, papote en collant des agendas qui seront vendus par les libraires de la ville. Ils y ont écrit et illustré leur épopée. Virgelina Chara qui dirige une association de femmes déplacées anciennes prostituées, montre de grandes toiles tissées. “Elles représentent ce que nous avons vécu, et certains des évènements du pays. C’est notre façon de dénoncer”, explique-t-elle.

Avec une vingtaine d’autres personnes, Virgelina, elle même arrivée il y a 12 ans du sud-ouest de la Colombie, reçoit les visites des collégiens. “Le chant, le théâtre, la cuisine, avec les plats que nous avons perdus en arrivant en ville, nous permettent de raconter ce qu’il s’est passé. Beaucoup ignorent tout”, souligne-t-elle.

Pour vaincre l’amnésie, le Centre de Mémoire, qui a accueilli 200 000 visiteurs depuis 2012 organise rencontres et conférences, et pousse ses actions hors les murs. Le CMPR a dressé une carte des lieux de mémoire de Bogota. L’endroit où en 1948, a été tué le candidat présidentiel Jorge Eliecer Gaitan, ceux où sont morts sous les balles militants de gauche, journalistes, artistes sont marqués d’une plaque qui raconte leur histoire. Manifestations et rassemblements y sont organisés. Le long de l’avenue où se trouve le bâtiment, graffitis et fresques illustrent 50 ans de conflit colombien.

Les autorités comptent convertir cette artère, passage obligé pour les visiteurs qui arrivent à Bogota par avion, en un “axe de mémoire”. Il incluera le CMPR, le cimetière central, et un Musée National de la mémoire qui doit voir le jour non loin de là. Les soldats morts au combat y ont déjà depuis longtemps leur monument à part, symbole d’une histoire commune difficile à construire.