Deux ans après le soulèvement populaire, les Burkinabè demandent justice

Deux ans après le soulèvement populaire, les Burkinabè demandent justice©Ahmed Ouoba / AFP
Manifestation le 2 octobre 2016 à Ouagadougou en mémoire du président Thomas Sankara assassiné en 1987
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Fin octobre 2014, des manifestations massives gagnent, comme une traînée de poudre, les villes du Burkina Faso. Ce soulèvement dénonce un projet de révision constitutionnelle visant à autoriser le président Blaise Compaoré à se représenter pour un cinquième mandat. Face à une détermination populaire inouïe dans le pays, l’homme fort lâche le pouvoir qu’il détient depuis 27 ans, laissant derrière lui au moins une trentaine d’insurgés tombés sous les balles les forces du régime. Deux ans après, plusieurs organisations locales demandent que justice soit rendue. Justice non seulement pour les « héros » du soulèvement de fin octobre 2014 mais aussi pour les victimes de la résistance au coup d’Etat manqué de septembre 2015 contre les institutions de transition.

Cinq journées de commémorations ont été organisées au Burkina Faso, dont certaines mettaient en exergue le rôle joué par des catégories spéciales comme les femmes, les jeunes et les artistes dans la contestation qui a poussé Blaisé Compaoré à la fuite. En plus de ces cérémonies, le nouveau président du Faso, Roch Marc Kaboré, a reçu le 30 octobre les représentants des familles de victimes. Il les a assurés de l’assistance continue du gouvernement aux veuves, orphelins et blessés du soulèvement d’octobre 2014 et du putsch manqué de septembre 2015. Lors de cette rencontre au Palais présidentiel, Roch Marc Kaboré a par ailleurs tenté de rassurer ses concitoyens qui, en plus de ce réconfort matériel promis, demandent surtout que justice soit rendue. « Au-delà de ce que l’on peut faire sur le plan matériel, a reconnu le chef de l’Etat burkinabè, aucune somme ne peut ramener quelqu’un à la vie et ne peut dédommager la perte d’un être cher ». « Tout en respectant l’indépendance de la justice, nous devons garder tous la vigilance pour que la justice soit rendue et que les ayant droits rentrent dans leurs droits », a – t -il poursuivi. Il a enfin affirmé que la justice doit passer avant tout processus de réconciliation. « J’ai dit que nous ne pouvons pas aller à la réconciliation en enjambant des morts car, elle ne pourra se faire que si nous mettons en place une situation où nous avons la vérité, la justice, après quoi, nous pourrons voir comment aller à la réconciliation nationale ».

 « Inconséquence, trahison »

 Mais, à en croire certaines associations de la société civile burkinabè, il ne s’agit là que de simples mots. Dans une déclaration à l’occasion du deuxième anniversaire de l’insurrection populaires des 30 et 31 octobre 2014, une coalition de huit organisations burkinabè affirme en effet que les appels à la réorganisation et à la dépolitisation de l'armée « sont restés vains ». Parmi ces associations, figure le célèbre Balai citoyen qui fut aux premières loges de la contestation. Soulignant une certaine « complicité de la hiérarchie militaire » dans le coup d’Etat manqué de septembre 2015, ces organisations accusent les dirigeants actuels de maintenir en fonction, par népotisme ou clanisme, des officiers supérieurs « qui ont été passifs voire complices de la déstabilisation du pays » en septembre 2015. La coalition y voit « une inconséquence, une trahison qui a accentué la fracture au sein des différentes composantes militaires, compliquant naturellement l'aspect opérationnel car une partie du sommet militaire illégitime ne peut avoir la confiance de la troupe ». « Par ailleurs, en suscitant et en alimentant un faux débat sur la réconciliation, la classe politique (majorité et opposition) cherche plutôt à entériner la trahison du peuple en voulant garantir une impunité dans les dossiers judiciaires de l’insurrection populaire, du putsch », allèguent encore les signataires. « Pour nous, aucune réconciliation ne sera durable et recevable sans, au préalable, la vérité et la justice » sur les crimes de sang et les crimes économiques, écrivent ces organisations, accusant les autorités actuelles de « tripatouillage » dans l'affaire du putsch avorté de septembre 2015 ainsi que dans les dossiers, vieux de plusieurs années, concernant les assassinats du président  Thomas Sankara (1987) et du journaliste Norbert  Zongo (1998).A la mi-septembre, c’est le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), présenté comme la principale organisation des droits de l’homme du Faso, qui avait tiré la sonnette d’alarme lors d’une conférence de presse. «Le sinistre et épais voile de l’impunité continue de couvrir bien des dossiers de crimes de sang et de crimes économiques », avait déclaré le président du MBDHP, Chrysogone Zougmoré. Parlant des dossiers relatifs aux événements d’octobre 2014 et septembre 2015, il avait dressé un bilan « plus que mitigé » et déploré « l’attitude de nos dirigeants, bien suspecte ». Quant aux dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo, il avait rappelé avec insistance : « le peuple attend toujours de voir juger et condamner les commanditaires et exécutants de leur assassinat ».

 Le procureur annonce avoir inculpé 24 ministres de Compaoré

 Deux semaines plus tard, le procureur général près la Haute cour de justice (HCJ), Armand Ouédraogo, avait réagi, en annonçant devant la presse que 24 des 33 ministres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré avaient été entendus et inculpés dans le cadre de l’enquête relative  au soulèvement de fin octobre 2014, durant lequel une trentaine de manifestants avaient été tués par les forces de l’ordre. Parmi ceux qui n’avaient pas encore été entendus, figurait, selon le procureur, le ministre de la Défense au moment des faits, qui n’était autre que le président Compaoré, aujourd’hui exilé en Côte d’Ivoire. Le magistrat avait néanmoins souligné qu’il était impossible de donner une suite favorable à la demande de l’Assemblée nationale de transition de poursuivre Blaise Compaoré  pour « haute trahison » et « attentat à la Constitution ». Selon le procureur, il n’existe aucune loi dans le droit burkinabè prévoyant ces deux infractions.

Blaise Compaoré est également recherché par la justice burkinabè dans le cadre du dossier de l’assassinat de son compagnon et prédécesseur, le président Thomas Sankara, le 15 octobre 1987. Il a été formellement inculpé d’assassinat et recel de cadavres. Le long règne de Compaoré est par ailleurs entaché par l’assassinat, en décembre 1998, du journaliste d’investigation Norbert Zongo. François, frère de Blaise Compaoré, est soupçonné d’être le principal commanditaire du meurtre de Norbert Zongo et ses trois compagnons. Au Burkina Faso, comme à l’étranger, les défenseurs des droits de l’homme accusent Compaoré d’avoir bloqué les deux enquêtes.