Affaire Ntaganzwa : vers un bras de fer entre la RDC et le Rwanda ?

Affaire Ntaganzwa : vers un bras de fer entre la RDC et le Rwanda ?©TPIR
Affiche du TPIR des accusés en fuite
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L'affaire Ladislas Ntaganzwa vire au casse-tête. Le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux de l'ONU (MTPI), qui remplace le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a demandé son extradition rapide mais la procédure menace de durer : Kinshasa exige de Kigali l'un de ses ressortissants sous mandat d'arrêt en échange de l'ex-maire de Nyakizu (sud du Rwanda), accusé d'avoir participé en 1994 au massacre de milliers de Tutsis et d'avoir orchestré de nombreux viols.

Le quinquagénaire a été arrêté début décembre dans la province du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), après des offensives de l'armée contre la rébellion hutu rwandaise des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Actuellement interrogé à Kinshasa, il assure qu'il était juste « infirmier » chez les FDLR, fondées par des membres des anciennes Forces armées rwandaises (FAR) ayant fui l'avancée des troupes de Paul Kagame, qui a arrêté le génocide et pris le pouvoir, qu'il détient toujours.

Le ministre congolais de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, refuse de nommer le Congolais convoité en échange de Ladislas Ntaganzwa mais les mandats lancés ciblent des responsables de deux anciennes rébellions essentiellement tutsi-congolaises ayant été soutenues dans l'est par le Rwanda : le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et le  Mouvement du 23 mars (M23).

Interrogé par JusticeInfo, un haut-responsable de l'armée congolaise affirme que Kinshasa vise Laurent Nkunda, l'ex-chef du CNDP placé depuis 2009 en « résidence surveillée » à Kigali. « Nkunda », soupçonné d'avoir téléguidé la création du M23 en mai 2012, « est à l'origine de tous les malheurs qui ont frappé le Congo après 2003 », date de fin de la deuxième guerre (1998-2003) qui a meurtri le pays, lâche le responsable militaire congolais. « Le Congo doit tirer les dividendes de cette extradition [de Ladislas Ntaganzwa], elle ne sera pas gratuite ! »

Kinshasa cherche peut-être aussi à prendre sa revanche : début 2009, le Rwanda avait annoncé l'extradition de Laurent Nkunda et Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre de la Justice, s'était rendu sur place pour ficeler le dossier. Mais quelques mois plus tard, revirement : le Rwanda a annoncé qu'il ne pouvait pas extrader Laurent Nkunda vers un pays où la peine de mort est en vigueur, même si depuis un moratoire de 2003 aucune exécution n'aurait eu lieu en RDC, où la peine capitale est commuée en prison à vie.

 

Mandat d'arrêt de la justice internationale

 

Avec Ladislas Ntaganzwa, Kinshasa espère avoir un moyen de pression et pourrait s'appuyer sur l'accord d'Addis-Abeba de février 2013, par lequel les pays de la région s'engagent à « faciliter l'administration de la justice » et à « ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit » aux présumés auteurs de graves crimes. Mais Ladislas Ntaganzwa est ciblé par un mandat d'arrêt de la justice pénale internationale et la RDC n'a pas d'autre choix que de l'extrader, a dit à l'agence Reuters le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye.

En attendant, l'accusé, qui n'apparaît pas dans l'organigramme militaire des FDLR, reste sur le gril. Sans avocat à ses côtés. « On n'en est pas encore à ce niveau. Le dossier est encore au stade d'investigation de sécurité militaire. Il est bien gardé et pris en charge sur tous les plans », assure le haut responsable de l'armée. Selon lui, l'interrogatoire vise notamment à en apprendre davantage sur les FDLR, qui commettent des meurtres, viols, enrôlement d'enfants, pillages… et qui, selon plusieurs rapports, aideraient des officiers congolais à combattre des groupes armés et trafiquer des minerais.

Début 2015, l'armée congolaise et la Mission de l'ONU (Monusco) devaient les traquer ensemble mais un différend a gelé le processus et Kinshasa a lancé seule des offensives qui ont, d'après elle, affaibli considérablement les rebelles. En novembre, de nouvelles attaques ont été lancées et Ladislas Ntaganzwa a finalement été appréhendé dans le territoire de Rutshuru (sud-est du Nord-Kivu). Officiellement, il a été par cueilli l'armée. Plus vague, un fonctionnaire de l'ONU confie pour sa part à JusticeInfo, qu'il a été arrêté par les « autorités nationales » et que la Monusco l'a transféré en hélicoptère de Nyanzale vers Goma, capitale du Nord-Kivu.

Seulement, le haut responsable militaire, un policier et des sources de la société civile affirment que ce sont des éléments des FDLR qui l'ont remis à la police congolaise. Les FDLR – dont des chefs disent vouloir cesser la lutte armée pour se consacrer à un dialogue politique avec Kigali, qui s'y refuse catégoriquement – auraient ainsi voulu donner un gage de leur bonne volonté à la communauté internationale. Interrogé par JusticeInfo, La Forge fils Bazeye, porte-parole des FDLR, dément tout lien avec Ladislas Ntaganzwa. « C'est faux, archi faux ! Ce sont des spéculations. Les militaires revendiquent l'arrestation mais, jusqu'à présent, on ne sait pas comment il a été arrêté et qui a commandité ça. » 

 

D'autres accusés en fuite

 

Huit fugitifs sont toujours recherchés par le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux de l'ONU et, comme pour Ladislas Ntaganzwa, une récompense de cinq millions de dollars maximum est promise pour leur arrestation. Où sont-ils ? Difficile d'en avoir la certitude. Mais au TPIR, on a toujours affirmé, avant la fermeture du tribunal en décembre, que la plupart d'entre eux se cachaient en RDC.
Pour certains d'entre eux, La Forge fils Bazeye explique qu'il ne les connaît même pas.
En revanche, il souligne que, selon ses propres informations, Félicien Kabuga, le plus célèbre de ces fugitifs, n'a « jamais » mis le pied en terre congolaise et qu'il ignore où il se trouve. Le bureau du procureur au TPIR avait souvent affirmé que Kabuga, qui est présenté comme l'argentier du génocide des Tutsis de 1994, vivait essentiellement au Kenya. Quant à l'ancien ministre de la Défense Augustin Bizimana, il serait, selon les informations du porte-parole des FDLR, mort au Congo- Brazzaville. Le major Protais Mpiranya, qui commandait la garde du président Juvénal Habyarimana aurait, toujours selon La Forge Fils Bazeye, trouvé la mort au Zimbabwe tandis que le lieutenant-colonel Phénéas Munyarugarama serait  « probablement » mort « dans l'Ouest de la RDC ». Le TPIR a toujours affirmé n'avoir aucune preuve de la mort de ces accusés.