Un crime de guerre suivi par des frappes peut-être légitimes, mais assurément illégales

Un crime de guerre suivi par des frappes peut-être légitimes, mais assurément illégales©crédit ONU, 5 avril 2017
L'ambassadrice, Nikki Haley, brandit des photos d'enfants morts en Syrie pour dénoncer l'usage de l'arme chimique
3 min 19Temps de lecture approximatif

L’utilisation cette semaine de l’arme chimique attribuée à l’aviation syrienne est un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité. Les frappes américaines en retour sont peut-être légitimes, mais assurément illégales, selon le droit international.

Le vendredi 30 août 2013, le président américain, Barack Obama a pris une des décisions les plus lourdes de son mandat. Il décide alors d’abandonner la ligne rouge qu’il avait lui-même fixée. Il ne frappera pas le régime syrien bien que celui-ci vient d’utiliser les armes chimiques. Le nouveau président américain, Donald Trump, lui, est passé à l’action ce jeudi après avoir vu les images des dizaines de morts et de blessés de l’attaque à l’arme chimique de Khan Cheikhoun. Il est trop tôt pour juger de l’impact des 59 missiles Tomahawk qui ont frappé une base militaire syrienne, d’où, selon la Maison-Blanche, sont partis les avions qui ont largué des obus chimiques. C’est la première fois que le gouvernement américain engage une action militaire contre les forces du régime de Damas. Est-ce le signe d’un revirement politique du président Trump qui jusque là ne voulait pas s’engager dans le conflit syrien ? Ou une simple démonstration de force sans lendemain ? Quelles en seront les conséquences dans le conflit syrien et ailleurs, jusqu’en Corée du Nord ?

D’ores et déjà, les réactions ont été immédiates. Le président russe, Vladimir Poutine, a dénoncé « l’agression » contre « une nation souveraine », alors que les capitales occidentales, ainsi que l’Arabie Saoudite et Israël se sont félicités de cette action. Le président turc, Recip Erdogan, dans une conversation téléphonique avec le président russe, Vladimir Poutine, a dénoncé une « attaque chimique inhumaine qui menace les pourparlers de paix », mais sans désigner de coupable.

Du point de vue du droit international humanitaire (DIH), il est évident que l’utilisation de l’arme chimique, qui plus est contre des civils, est totalement prohibée et constitue un crime international. Mais cette violation manifeste du droit ne rend pas légale – même si elle peut être considérée comme légitime – les frappes américaines. L’utilisation de la force armée, selon le DIH, nécessite l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU – impossible à obtenir du fait du veto russe - ou doit constituer un acte d’autodéfense, ce qui n’est pas le cas non plus. D’où la déclaration de l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, de reconnaître que les Etats-Unis s’étaient dégagés du droit devant les carences onusiennes : « Lorsque les Nations unies manquent à leur devoir d’intervention sur la durée, il y a des moments dans la vie des Etats, où ils sont malgré tout obligés d’agir par eux-mêmes ».

Le précédent du Kosovo

Sous l’administration Clinton, les Etats-Unis avaient en 1999 court-circuités aussi le Conseil de sécurité de l’ONU – là encore, du fait du veto russe – en justifiant la campagne de bombardement de l’OTAN contre la Serbie par le fait que toutes les options non militaires avaient échoué. A ce jour, l’administration Trump n’a pas encore clairement défini son approche en matière de recours à la force et de respect de la légalité, selon le DIH. Il a simplement affirmé qu’il était de l’intérêt vital de la sécurité des intérêts américains de prévenir et de dissuader la dissémination et l’utilisation d’armes chimiques mortelles ».

Rappelons qu’en 2014, la France, appuyée par un certain nombre de pays dont la Suisse, avait proposé que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU renoncent à leur droit de veto lorsque des atrocités de masse étaient commises. Mais cette initiative s’est heurtée au refus des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine.

En dépit de plusieurs tentatives faites notamment par la France au Conseil de sécurité, celui-ci a aussi toujours refusé de transmettre le dossier syrien à la Cour pénale internationale. Or, celle-ci ne peut intervenir sans une demande en ce sens du Conseil de sécurité – toujours impossible, du fait de l’opposition russe - ou si l’Etat syrien ratifie les statuts de la Cour pénale internationale. Ce qui à l’évidence est inimaginable dans les circonstances présentes.

L’une des seules mesures pratiques que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a prise fut de créer en 2011, une Commission d’enquête internationale sur les crimes commis en Syrie. Ce mécanisme de surveillance a été complété par une autre résolution, cette fois de l’Assemblée générale de l’ONU en décembre dernier, de créer une équipe chargée de «collecter, regrouper, préserver et analyser les preuves» des crimes de guerre et atteintes aux droits humains commis en Syrie, afin de transmettre ces éléments le moment venu à un tribunal.