La semaine de la justice transitionnelle : les Grands Lacs dans le viseur

La semaine de la justice transitionnelle : les Grands Lacs dans le viseur©ICC/CPI
Jean-Pierre Bemba devant la CPI (2015)
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La région des Grands Lacs aux confins de la République Démocratique du Congo, du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda est restée l’épicentre cette semaine de la justice transitionnelle.

Dimanche, le génocidaire présumé Ladislas Ntaganzwa a été transféré au Rwanda depuis la RDC où il avait été arrêté en décembre dernier. Cet ancien maire est poursuivi pour " génocide ". Il est également accusé d'avoir orchestré le viol de plusieurs femmes et doit être jugé par la justice rwandaise, à qui le TPIR ( Tribunal International Pour Ie Rwanda) a transféré son dossier en mai 2012. Il était l’un des neuf suspects de génocide dont la tête était mise à prix par ce Tribunal de l’ONU qui vient de fermer ses portes. Son arrestation dans un pays, la RDC qui a longtemps soutenu et abrité les groupes rebelles accusés de génocide et d’autres violations massives des droits humains signifie-t-elle la fin de l’impunité pour les criminels de guerre dans la région des Grands Lacs.

Hasard du calendrier, Kinshasa a abrité cette semaine une réunion des principaux pays de la sous-région pour tenter de mettre fin à cette impunité. Dans son analyse, Habibou Bangré, correspondante de Justiceinfo.net en RDC citait le ministre de la Justice du pays hôte, Alexis Thambwe Mwamba pour qui «  c'était la première fois que des procureurs spécialisés, Interpol ou encore le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux de l'ONU, qui a remplacé le Tribunal pénal international pour le Rwanda, planchaient ensemble. La coopération est « cruciale »  pour combattre efficacement  l'impunité dans la zone, instable depuis plus de 20 ans, à cause de groupes armés”.

 « Demander des comptes pour les crimes internationaux commis, y compris l'exploitation illégale des ressources naturelles, est primordial pour venir à bout des racines de l'impunité qui permettent aux groupes armés de prospérer, et pour restaurer la dignité et la sécurité des victimes », commente Myriam Raymond-Jetté, chargée du programme Justice Pénale au CIJT (une ONG spécialisé dans la justice transitionnelle) dans le même article. Reste à savoir si les rivalités entre les pays de la région, notamment entre le Rwanda et la RDC, permettront de déplacer ce stade déclaratif.

 

Lundi, ce sera au tour de la Cour Pénale Internationale de rendre son jugement sur Jean-Pierre Bemba qui fut vice-président congolais de 2003 à 2006, au sortir de la deuxième guerre du Congo et qui est poursuivi à La Haye pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité qu'auraient commis ses hommes à Bangui, capitale de la Centrafrique, en 2002 et 2003. Un verdict très attendu en RDC où ce chef de guerre réputé intraitable est toujours très populaire.

Dans un autre pays d’Afrique, le Mali, la justice et la vérité tardent aussi à se manifester. Dans une interview à Justiceinfo.net Nina Oualet Intallou, première vice-présidente de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) et membre du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) assure que son appartenance à un ex groupe rebelle et l'assassinat de son père militant touareg lui aussi par l’armée malienne n'auront pas raison de son souci de la manifestation de la vérité. “Dans le processus de sortie de crise et de réconciliation, je vais mettre tout en œuvre, en tant que première vice-présidente de la CVJR, pour aider à établir la vérité, à dire à qui de droit les causes profondes de cette crise. Tant qu'il n'y a pas de vérité et de justice, nous n'aurions rien fait. Vous savez, on n'était proche d'un génocide au Mali. Nous sommes revenus de très loin”, dit-elle dans cette interview.

Enfin, toujours dans cette région, le Président burundais Pierre Nkurunziza a instrumentalisé la Commission Vérité et Réconciliation. Comme l’écrit Ephrem Rugiririza : « En choisissant de lancer au début du mois de mars les travaux de cette Commission chargée de faire la lumière sur le passé, le gouvernement burundais se voit aujourd'hui accusé de vouloir tenter de détourner l'opinion d'une macabre actualité faite d'exécutions sommaires et extra-judiciaires, d'arrestations et détentions arbitraires massives et d'actes de torture perpétrés presque au quotidien depuis bientôt une année dans le pays”.

Cette question de la vérité et de la justice n’est pas le monopole de l’Afrique. Ainsi Pierre Hazan, conseiller éditorial de Justiceinfo.net s’interroge sur l’Allemagne qui continue à juger les criminels de guerre plus de 70 ans après l’holocauste. “La justice allemande entend poursuivre les criminels de guerre nazis jusqu’au dernier et quel que soit leur âge”. , écrit Pierre Hazan, “alors que devait s'ouvrir mardi 14 mars le procès d’un ancien infirmier d’Auschwitz âgé de 95 ans, reporté dés l'ouverture pour raisons de santé, la question se pose. Ces procès pour l’histoire font-ils encore œuvre de pédagogie ? Et n’occultent-ils pas le fait que certains des plus grands criminels de guerre ont été relâchés dans les années cinquante ?

“ Rétrospectivement”, concluait Justiceinfo.net, “la Realpolitik et la représentation d’une justice inébranlable ont trouvé leur compte. L’histoire retiendra la détermination des juges à Nuremberg, puis celle des tribunaux allemands à poursuivre des criminels de guerre nazis jusqu’au dernier et quel que soit leur âge, au risque d’occulter qu’en d’autres temps, certains des plus grands criminels nazis, ont recouvré leur libertés sous la pression de la société allemande et avec le consentement des autorités américaines.