"L'Afrique doit rester dans la CPI", insiste l'ancien Premier ministre kényan

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L'échec de la Cour pénale internationale à juger de hauts responsables kényans accusés de crimes contre l'humanité est "une victoire de l'impunité", déplore dans un entretien à l'AFP l'ancien Premier ministre kényan Raila Odinga, selon lequel l'Afrique doit plus que jamais "rester dans la CPI".

La cour internationale a abandonné, faute de preuves, ses poursuites contre le président kényan Uhuru Kenyatta (fin 2014) et son vice-président, William Ruto (début avril 2016), tous deux inculpés pour les violences qui avaient suivi la réélection contestée du président Mwai Kibaki face à M. Odinga, en décembre 2007.

"C'est une victoire pour l'impunité", dénonce lors d'un passage à Paris Raila Odinga, tout en jugeant paradoxalement "bon" la fin de la procédure contre M. Ruto, son allié politique de l'époque.

L'ancien Premier ministre estime en substance qu'il aurait été déséquilibré de ne juger que William Ruto et son co-accusé alors que d'autres poursuites contre trois responsables du camp adverse avaient déjà été abandonnées.

Pour mettre fin aux violences, qui avaient fait plus de 1.300 morts et 600.000 déplacés, M. Odinga avait été nommé Premier ministre début 2008 dans le cadre d'un accord de partage du pouvoir avec le président Kibaki.

"La CPI a été créée pour juger les puissants, ceux qui ne peuvent être jugés dans leur pays", souligne-t-il. Mais après ces non-lieux dans les dossiers kényans, "aucun chef d'Etat africain n'a à craindre d'être jugé par la CPI, parce que vous pouvez détruire les preuves, ou tuer les témoins", juge-t-il.

La procureure de la CPI Fatou Bensouda avait dénoncé la semaine dernière une campagne "acharnée" d'intimidation de témoins pour expliquer l'abandon des poursuites contre le vice-président kenyan et son co-accusé.

"L'implication est que si vous êtes puissant, vous pouvez vous en sortir", regrette Raila Odinga.

L'Afrique a besoin de la CPI

Malgré ce "coup d'arrêt à la justice internationale", l'ancien Premier ministre juge que "l'Afrique doit rester dans la CPI", accusée par de nombreux dirigeants africains de "s'acharner" sur leur continent.

Créée en 2002 pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre qui n'ont jamais été poursuivis dans leur propre pays, la CPI a ouvert des enquêtes sur neuf pays au total, dont huit africains: Kenya, Côte d'Ivoire, Libye, Soudan, République démocratique du Congo, Centrafrique, Ouganda et Mali.

Mais la plupart de ces cas "ont été transmis à la CPI par des pays africains", relève Raila Odinga, citant en exemple la Côte d'Ivoire qui a livré son ancien président Laurent Gbagbo à La Haye.

"L'Afrique a besoin de la CPI plus qu'aucune région du monde", estime-t-il, "parce qu'elle ne dispose pas de mécanisme alternatif pour juger ces cas et que c'est actuellement en Afrique que se produisent les plus graves violations des droits de l'Homme".

Que ce soit en matière de lutte contre l'impunité ou de respect des règles démocratiques, "le monde ne doit pas traiter l'Afrique différemment", souligne M. Odinga, qui a payé de huit ans de prison dans les années 80 sa lutte pour le multipartisme au Kenya.

"L'Afrique constitue une part entière de la communauté internationale et doit se plier aux standards internationaux en matière de démocratie", insiste-t-il.

A cet égard, "l'Afrique fait face à de sérieuses difficultés", avec l'apparition de "quasi présidents à vie", qui modifient les règles pour se maintenir au pouvoir, s'inquiète Raila Odinga en évoquant notamment les cas de l'Ouganda, du Tchad ou de Djibouti.

Trois fois candidat malheureux à la magistrature suprême (en 1997, 2007 et 2013), Raila Odinga reste le plus farouche opposant au président Uhuru Kenyatta. Malgré la concurrence au sein de l'opposition, il n'écarte pas, à 71 ans, l'idée d'une nouvelle candidature en 2017.

Les deux candidats à la primaire démocrate aux Etats-Unis, Bernie Sanders (74 ans) et Hillary Clinton (68 ans) "sont mes "contemporains. Je ne vois pas pourquoi on me trouverait trop vieux", lance dans un sourire celui que les Kényans surnomment "Agwambo", le "mystérieux".