Avec le procès du malien Al Mahdi, " la destruction du patrimoine est la question principale"

Avec le procès du malien Al Mahdi, ©Sophie Ravier/Minusma
Ruines du mausolée du Cheikh Sidi Ahmed Ben Amar Arragadi, cimetière des trois saints, juin 2013
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Le procès d’Ahmed Al Faqi Al Mahdi, dit Abu Tourab, s’ouvrira lundi 22 août devant la Cour pénale internationale (CPI). Le milicien d’Ansar Dine, chef de la brigade des mœurs lors de l’occupation de Tombouctou, au nord Mali, entre avril 2012 et janvier 2013, est poursuivi pour crime de guerre, pour la destruction de neuf des Mausolées de la ville aux « 333 Saints », et de la porte de la mosquée Sidi Yahia. En mars dernier, au cours d’une audience à huis clos, M. Al Mahdi a déclaré qu’il plaiderait coupable des actes reprochés. La procureure a circonscrit ses accusations aux seules destructions de patrimoine, donnant une portée symbolique à l’affaire. Directeur du Centre du droit de l’art et professeur à l’université de Genève, Marc-André Renold revient pour Justice Info sur l’importance de ce procès.

 

 

JusticeInfo.net Pourquoi ce procès est-il, à vos yeux, un procès important ?

Professeur Marc-André Renold C’est le premier cas ou l’acte reproché est la destruction intentionnelle. Il y a eu d’autres affaires où la destruction du patrimoine a été un élément dans la poursuite, notamment, celles concernant les tentatives de destruction de la vieille ville de Dubrovnik, en ex Yougoslavie. La destruction du patrimoine culturel avait été prise en compte dans les procès, mais c’était un élément parmi d’autres. Dans le procès qui vient, c’est la question principale. Et ce n’est pas parce que l’on s’intéresse à quelque chose d’autres que les vies humaines que c’est moins important. Je crois vraiment que c’est un tout. Et jusqu’à présent, dans ces procès internationaux, on n’a pas tellement porté attention à la destruction du patrimoine.

La directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, avait qualifié de « génocide culturel » la destruction du patrimoine. Qu’en pensez-vous ?

C’est un terme fort, qui montre l’importance du lien entre l’aspect matériel et l’aspect immatériel des biens et du patrimoine culturel. Pendant très longtemps, on a parlé principalement du patrimoine culturel matériel. Je pense par exemple aux destructions de monuments et aux vols d’œuvres d’art survenus pendant la Seconde-guerre mondiale. Mais plus récemment, l’Unesco et d’autres se sont intéressés à l’aspect immatériel des biens culturels et je pense que c’est au fond devenu extrêmement important. Il y a une Convention, qui date de 2003, relative à la protection des patrimoines culturels immatériels. Mais ce que l’on voit avec ces destructions, c’est qu’elles visent l’aspect immatériel, tout ce qui relève du religieux, de l’Histoire, de la tradition. Et le terme « génocide culturel » montre bien qu’on peut non seulement détruire le bien mais aussi la culture, anéantir l’ennemi par tout ce que sa culture peut représenter. Récemment, l’Unesco a engagé une nouvelle réflexion : devrait-on ou non utiliser la notion de Responsabilité de protéger dans le domaine culturel ? C’est une notion nouvelle, qui a émergé il y a une dizaine d’années, et qui vise à la prévention de génocides notamment. Elle vise à ce que l’Etat sur lequel se déroulent de tels actes, et la communauté internationale, puissent intervenir pour prévenir le risque de génocide. On s’est donc demandé : Est-ce que la destruction du patrimoine culturelle n’est pas un indice, un acte préparatoire au génocide, et qui justifierait dès lors une intervention ? On se rend compte que les atteintes à la culture sont peut-être des signes, qu’il y a peut-être un indicateur qu’il faudrait regarder de façon plus précise.

Selon l’accusation, les monuments ont été détruits suite à une réflexion conduite par le tribunal islamique mis en place durant l’occupation de Tombouctou, entre avril 2012 et janvier 2013. Pensez-vous qu’ici s’affrontent aussi deux conceptions du droit, deux visions du monde ?

Il y a souvent plusieurs visions du droit qui s’affrontent. Mais il faut bien marquer que ce qui prévaut dans toute la communauté internationale aujourd’hui, c’est celle de la protection du patrimoine en tant que valeurs fondamentales de notre société. Il y a un respect dû et reconnu par l’ensemble des nations, y compris au Mali, y compris en Syrie. Ces Conventions sont quasiment universellement impliquées. On parle quand même de règles fondamentales de la société internationale, et ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord avec cela qu’on peut justifier la destruction.

Qui sont les victimes de la destruction de patrimoine ?

C’est d’abord la société locale, ceux qui ne peuvent plus jouir de ce patrimoine pour effectuer des actes traditionnels et religieux. C’est aussi la communauté internationale, c’est clair, mais je pense qu’il ne faut pas oublier que ces lieux sont importants pour la communauté locale. La preuve en est la réaction des communautés locales pour les protéger. On sait ce que les Maliens ont fait pour protéger les manuscrits [au cours de l’occupation de la ville par les groupes djihadistes, près de 400 000 manuscrits ont été discrètement évacués par des habitants pour être préservés.] Ce n’est pas la communauté internationale, elle est arrivée trop tard. On se rappelle de la chaine humaine autour du musée du Caire, début 2011, lorsqu’on craignait qu’il soit attaqué. Que ce soit à Tombouctou ou ailleurs, les communautés locales sont très imprégnées de ces biens. C’est un aspect très important qui montre que la culture ce n’est pas juste l’apanage des grands occidentaux qui pensent que c’est important, mais que ça l’est aussi pour les gens sur place. Certes, c’est la Cour pénale internationale, c’est une certaine vision de la justice, mais je pense que les atteintes au patrimoine sont des atteintes qui touchent beaucoup les communautés locales. Quand il s’agit de la reconstruction, la culture, la religion, la musique, l’art, sont des moyens de faciliter la réconciliation.

On a vu récemment qu’en Irak et en Syrie, le patrimoine fait aussi l’objet de pillages. Existe-t-il des outils pour tenter d’y parer ?

Oui, le patrimoine peut être non seulement détruit, mais aussi utilisé pour financer le terrorisme. Concernant la Syrie et l’Irak, il y a des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui l’établissent. Il y a eu des règlementations adoptées par un grand nombre de pays, les pays du marché de l’art, par exemple la France, le Royaume Uni, les Etats-Unis ou la Suisse. La Convention de La Haye de 1954, qui est un peu la règle de base sur la question de la protection du patrimoine culturel dans les conflits armés, à un protocole qui dit que les Etats s’engagent à conserver et à restituer après le conflit, ce qui aurait pu faire l’objet d’un pillage. Il y a aussi ce qu’on appelle les « safe havens », les refuges de biens culturels. L’idée est de pouvoir, pendant un conflit, mettre à l’abri des biens culturels. Quelques Etats ont adopté des législations le permettant. La Suisse est le premier pays à l’avoir fait. Il existe un refuge en Suisse alémanique. C’est un ancien dépôt de munitions qui est aujourd’hui destiné à accueillir des biens culturels si cela s’avère nécessaire. Néanmoins, c’est une question très compliquée. N’y aurait-t-il pas une forme de néocolonialisme à dire au Syrien : vous ne pouvez pas protéger vos biens, on le fait ? C’est aussi très couteux, mais le but est d’éviter justement le pillage. Il y a un petit précédent intéressant. Près de Bâle, des individus avaient créé un musée du patrimoine afghan en péril. Il a fonctionné pendant une dizaine d’année. Plus qu’un musée, c’était en fait une forme de refuge, et lorsque la situation s’est améliorée en Afghanistan, tous les biens ont été restitués, sous l’égide de l’Unesco, au musée de Kaboul.

En quoi la protection du patrimoine est-elle un outil pour la paix ?

Elle permet à tout le monde de parler à peu près la même langue. Le patrimoine devrait rassembler plutôt que disperser. Dans une communauté qui souffre d’un conflit, le patrimoine peut aider, permettre une réconciliation, j’en suis absolument persuadé. Il y a une valeur symbolique extrêmement forte derrière le patrimoine.