CPI : "le dangereux précédent" du Kenya

CPI : ©ICC/CPI
Première comparution devant la CPI du vice-président William Ruto en 2011 (au deuxième rang)
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Pour sauver le soldat Ruto, vice-président du pays poursuivi pour crimes contre l’humanité par la Cour Pénale Internationale, le Kenya n’a pas hésité à prendre en otage l’Assemblée des Etats parties. Du 18 au 26 novembre 2015, Nairobi n’a œuvré qu’à une chose : obtenir de ses homologues une déclaration interdisant explicitement d’appliquer de façon rétroactive un amendement adopté en 2012 et permettant d’inclure au dossier des procès-verbaux de témoignages. Dès l’ouverture de l’Assemblée, les ONG dénonçaient la manœuvre, suivies par de nombreux diplomates. Le Kenya a d’abord menacé de se retirer du traité de la Cour si la question n’était pas portée à l’ordre du jour de l’Assemblée et on craignait qu’à l’avenir, d’autres mécontents puissent suivre la même voix. Venue en force, la délégation kényane d’une vingtaine de personnes, conduite par la ministre des Affaires étrangères, Amina Mohamed, n’a obtenu qu’une demi-victoire. L’Assemblée a refusé de prendre une résolution, mais a en revanche accepté que la question de la non-rétroactivité de cet amendement soit explicitement incluse dans le rapport de sa 14ème session. Cela ne vaut donc pas injonction aux juges de la chambre d’appel, chargés de trancher définitivement la question. « Nous avons exhorté l'Assemblée à trouver refuge dans les valeurs universelles de bonne foi, déclarait Amina Mohamed au terme de l’Assemblée, dans la primauté du droit, de l'équité et l'égalité entre les nations, dans la poursuite de la justice pour tous » ajoutant que « pas un Etat partie a contredit notre position selon laquelle, il y a deux ans, l'accord était que la modification ne serait pas appliquée à la situation au Kenya ».

Le sort du vice-président

De cette question procédurale pourrait dépendre le sort du vice-président kenyan, car suite au retournement de plusieurs témoins dans cette affaire, menacés ou corrompus selon l’accusation, les juges avaient accepté d’inclure au dossier les procès-verbaux de leur déposition initiale. La question est cruciale puisque la décision de la chambre de première instance, à laquelle la défense a fait appel tandis que Nairobi ouvrait parallèlement un front diplomatique, pourraient permettre au procureur d’obtenir la condamnation du vice-président du Kenya. Les avocats de William Ruto, tout comme les autorités kényanes, estiment que cet amendement, adopté en 2012, ne peut pas être utilisé rétroactivement. Si la procédure contre William Ruto remonte à 2010, son procès pour crimes contre l’humanité commis lors des violences qui avaient suivies la présidentielle de décembre 2007, n’a débuté qu’en septembre 2013.

Si nombre d’Etats n’hésitent pas à tenter d’instrumentaliser la Cour pour leurs propres intérêts, la démarche kényane, soutenue par une petite poignée d’Etats, dont l’Ouganda, est inédite, puisqu’elle intervient alors même que la chambre d’appel est en train de délibérer.

Le Kenya n’a pas hésité à conditionner son vote sur tous les points à l’ordre du jour, dont le budget de la Cour. Pour la Coalition internationale des ONG pour la CPI (CICC) c’est « un dangereux précédent ». « La teneur des débats montre la faiblesse, non pas de la Cour, mais de son assemblée » a déclaré le patron de la Coalition William Pace, se disant déçu qu’elle « se soit courbée devant la pression politique ». Rappelant qu’en 2013, les Etats parties avaient déjà accepté un amendement proposé par Nairobi permettant aux accusés de hauts rangs de ne pas être présent à l’intégralité des audiences de leur procès, George Kegoro, directeur de la Commission kenyane des droits de l’homme, fustige l’Assemblée, lui reprochant de tronquer la mission de la Cour, dédiée à la poursuite des plus hauts responsables, de telle sorte qu’elle va « devenir une Cour pour les auteurs » de second rang (a court of low level perpetrators). « Les victimes ont été irréversiblement trahies par l’Assemblée » conclut-il.

L’Assemblée a aussi adopté un budget de 139 millions d’euros, en augmentation de 7% par rapport à 2015 mais en-deça des 153 millions demandés. C’est sans compter avec les 206 millions d’euros investit dans les nouveaux locaux où la Cour s’apprête à déménager et les nombreux fonds spéciaux – pour les victimes, la relocalisation des témoins et autres – financés par les Etats sur une base volontaire.