CPI : Terminator, le chef de guerre congolais ne savait pas ce que veut dire "assassin"

CPI : Terminator, le chef de guerre congolais ne savait pas ce que veut dire ©ICC/CPI
Bosco Ntaganda devant la CPI (archives)
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Bosco Ntaganda est à la barre des témoins de la Cour pénale internationale (CPI) depuis le 14 juin. L’ex milicien est poursuivi pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en 2002 et 2003 en Ituri, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Alors chef d’Etat-major en second de l’Union des patriotes congolais (UPC), son combat aurait provoqué la mort de 60 000 personnes selon l’accusation. A la barre pourtant, il affirme avoir protégé les civils, et raconte sa « révolution ».

 C’est un autoportrait romantique que prétend Bosco Ntaganda. « Moi, Ntaganda, je ne suis coupable de rien. Je ne suis pas un criminel, je suis un révolutionnaire », lâche-t-il au second jour de sa déposition devant les juges de la Cour pénale internationale. Le chef d’Etat-major en second de l’Union des patriotes congolais (UPC) à l’époque des crimes reprochés, tente d’offrir un autre visage que celui du « Terminator » attribué par ses ennemis, et illustré par les 71 témoins du procureur venus déposer lors de la première partie du procès, ouvert en septembre 2015. Si aux premières minutes de sa déposition, le 14 juin, Bosco Ntaganda est apparu nerveux, il s’est, depuis, emparé du prétoire. Et raconte ses guerres.

Le génocide, fil rouge des guerres de Ntaganda

Né au Rwanda en 1973, baptisé Enias, il est élevé par ses grands-parents dans le Congo voisin (alors Zaïre), après que le colonisateur belge ait « séparé les pères de leurs fils ». A 17 ans, il répond à l’appel du Front patriotique rwandais (FPR), une rébellion formée de tutsis exilés en Ouganda, qui rêve de prendre Kigali. Dès le départ, il « aime l’armé », lâche-t-il dans un swahili aux accents rwandais. Le sous-lieutenant Ntaganda raconte la prise de Kigali en juillet 1994, lorsque l’armée rebelle chasse les génocidaires et s’empare du pouvoir. Il décrit l’horreur. « Il y avait des cadavres partout, sur tous les axes, qui s’entassaient. Il y avait une odeur très forte, les chiens étaient là », faisant festin de ces dépouilles. L’officier Ntaganda fait partie des libérateurs mais le raconte sans passion. Il veut faire du génocide l’empreinte d’une carrière de guerrier. Le fil rouge qui aurait motivé tous ses combats. Ceux d’un homme blessé qui en quelques mots, évoque dans le prétoire le cadavre de sa sœur, brûlée dans les décombres de sa maison avec son fils. Il s’empare d’un kleenex posé sur son pupitre et essuie ses yeux secs avant de demander à son avocat de passer à d’autres questions.

Chasser Mobutu

 

Maitre Stéphane Bourgon fut lui aussi un officier. Dans le prétoire, le canadien dépeint son client comme un soldat professionnel. Mais hormis quelques mois dans l’armée congolaise en toute fin de carrière, M. Ntaganda a couru pendant vingt ans d’une milice à l’autre. Après la fin du génocide rwandais, « je voulais vraiment rejoindre ce mouvement rebelle et mettre dehors ce dictateur », Mobutu Sese Seko, raconte-t-il pour expliquer son retour au Zaïre de l’époque au sein de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération (AFDL), menée par Laurent Désiré Kabila. Mobutu est renversé en 1997, mais très vite, le nouveau pouvoir perd le soutien de ses parrains rwandais et ougandais, et Ntaganda évoque à la barre la chasse aux tutsis du Congo. « Ils parlaient de nous comme d’une vermine » raconte-t-il, regard glacial. « Kinshasa avait demandé à ce que les Tutsis et tous ceux qui leur ressemblent soient tués. » Bosco Ntaganda décide donc de poursuivre sa carrière de milicien pour s’opposer, cette fois, au nouveau régime. Au début des années 2000, il rejoint l’Ituri et le raconte carte à l’appui. Pendant de longues minutes, il annote une carte de Bunia, chef-lieu de l’Ituri, sur le tableau électronique posté dans le prétoire. Les positions des groupes armés, les lieux où il réside, le camp Ndromo, le QG de l’Armée patriotique congolaise (APC), et d’autres, autant de lieux stratégiques pour comprendre des événements vieux de 15 ans, d’autant que malgré les demandes du procureur et de la défense, les juges ont refusé à deux reprises de se rendre sur les sites de crimes, à 7000 kilomètres de la salle d’audience.

« On a dit que j’étais un assassin »

A Kisangani, M. Ntaganda forme un bataillon de l’Armée patriotique congolaise (APC). Puis blessé, il rejoint l’Ituri au début des années 2000 mais se dit menacé. Ses anciens comparses du Rassemblement démocratique congolais (RCD-KML) et leur chef, Ernest Wamba dia Wamba veulent sa peau, explique-t-il en substance. Il évoque une femme, venue informer le milicien qui porte toujours un pistolet à la ceinture caché sous son treillis, d’un complot fomenté contre lui par un certain Patrick. « Il a dit qu’il va vous éliminer » lui dit-elle. C’était un interahamwe [miliciens actifs pendant le génocide au Rwanda et qui ont ensuite fuit dans l’est du Congo], explique l’accusé qui demande à passer à huis clos. Lorsque l’audience est de nouveau publique, on comprend que Patrick a été tué, sans savoir par qui. Mais Ntaganda fustige la campagne lancée contre lui par ses ennemis. « On a dit que j’étais un assassin, qu’un rwandais était un assassin. On a médiatisé cela à grande échelle. Je pense que même les Ituriens qui ne me connaissaient pas ont connu mon nom. On me traitait d’assassin, assassin, assassin. Je ne connaissais même pas ce terme français avant. »

Une formation de maquisard

La « révolution » tenaille Bosco. « J’étais prêt pour le maquis » dit-il. Avec d’autres, il s’enfonce dans la brousse et créé la Chui Mobile Force (Chui signifie léopard en Kiswahili), dans l’objectif, dit-il, d’amener à la table des négociations les forces ougandaises, qui occupent la région depuis 1997, et l’Armée patriotique congolaise (APC) soutenue par Kinshasa. « Nous étions à peu près 150 ou 200. Il fallait se déplacer comme des léopards. » Mais « nous étions tous des militaires, il n’y avait aucun civil. Quand nous sommes allés au maquis, les civils l’ont appris et ont commencé à nous apporter à manger. » Les rebelles font semble-t-il bombance. « Il y avait tout, à manger et à boire. » Et il énonce : de la viande, du riz, et du whisky pour ceux qui boivent. Lui reste sobre. Mais « pourquoi un tel soutien de la population ? », s’enquiert maître Bourgon. « Lorsque Chui était dans la brousse pendant un mois, nous n’avons jamais pillé les biens des civils, nous n’avons touché à aucun civil. Nous, nous avions pour but d’aider la population civile, mais nos ennemis avaient une idéologie différente. » Ces derniers sont défaits et les légendes sur les pouvoirs de Ntaganda courent la région, assure-t-il. Pouvoirs célestes ? Drogue ? Ntaganda se fait plus rationnel : « J’ai suivi la formation des maquisards et j’ai appris la stratégie pour défaire l’ennemi en grand nombre. » A La Haye, Bosco Ntaganda a un autre adversaire. Après l’interrogatoire de son avocat, qui se poursuivra la semaine prochaine, il devra affronter les questions de l’accusation.