Centrafrique : tout le secteur de la justice « doit être réhabilité »

Centrafrique : tout le secteur de la justice « doit être réhabilité »©Photo UN
Marie - Thérèse Keita Bocoum, experte indépendante de l'ONU
4 min 9Temps de lecture approximatif

Nombreux sont les défis pour restaurer une justice solide et digne de confiance en République centrafricaine (RCA). C’est le constat unanime fait lors d’un échange  le 28 juin au Conseil des droits de l’Homme à Genève, avec Marie-Thérèse Keita-Bocoum, l’experte indépendante sur la situation des droits de l’Homme dans ce pays. Mais la réhabilitation de ce secteur judiciaire en état de total délabrement est impossible tant que persiste l’insécurité causée par des groupes armés qui sévissent de plus belle comme pour défier le nouveau gouvernement démocratiquement élu.

Les participants au dialogue ont salué l’adoption de la nouvelle constitution et l’élection du nouveau président Faustin-Archange Touadéra. Mais ils ont exprimé leur inquiétude face au regain de violences notamment dans le sud et l’est du pays.

Si Marie-Thérèse Keita-Bocoum se dit satisfaite du soutien en termes de coopération technique et des recommandations pertinentes du Conseil des droits de l’Homme, elle rappelle que la situation des droits humains est conditionnée par la sécurité. Or, parmi les questions soulevées par l’insécurité, subsiste celle, essentielle, du désarmement. Des discussions relatives à la mise en oeuvre du processus de DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion) devraient avoir lieu prochainement entre le gouvernement du président Touadera et la Mission des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA). Interrogée par JusticeInfo, l’experte indépendante  insiste sur l’importance capitale du désarmement : « ce désarmement est indispensable, il faut la volonté de tous. Pour cela, il faut pouvoir discuter et entendre aussi les personnes qui sont amenées à s’armer. Il faut réduire l’action de ceux qui prennent les armes pour nuire. La RCA est un Etat souverain, il lui faut une armée qui joue son rôle de protection, et qui réconcilie. » Le représentant de la Centrafrique aux Nations unies à Genève, l’ambassadeur Léopold Samba, abonde dans le même sens : « il manque aujourd’hui les ingrédients indispensables à l’Etat, notamment celui de remettre la police sur le territoire. Si l’Etat n’a pas une armée digne de ce nom, le peuple est libre de s’armer. »

S’agissant des mesures extrajudiciaires de recherche de la vérité, l’experte indépendante considère qu’il n’est pas trop tôt pour les envisager. Mais, souligne-t-elle, ces mesures -une  commission vérité et réconciliation par exemple- ne pourront se mettre en place qu’à la condition que la sécurité soit rétablie. Dans le cas contraire, les victimes pourraient perdre confiance en la justice et décider de se faire justice eux-mêmes en prenant les armes. Par ailleurs, prévient-elle encore, si les conditions de sécurité ne sont pas réunies, il est probable que les victimes et témoins gardent le silence sur les auteurs des violations graves.

Enfin, elle rappelle que le droit à l’information est fondamental dans le chantier de la réconciliation, car il n’y a pas de promotion de la justice sans communication. Pour cela, les médias ne doivent pas se limiter à Bangui, et ceux qui constituent déjà une force comme des radios, doivent être renforcés et encouragés peut-être par des subventions ou des formations, avec pour seul objectif : la crédibilité.

La Cour pénale spéciale

A côté des mesures non-judiciaires, d’aucuns se félicitent de la saisine de la Cour pénale internationale en 2014, mais surtout, attendent impatiemment la mise en place de la Cour pénale spéciale créée par une loi organique de 2015. L’ambassadeur Léopold Samba indique, à ce sujet, que les débats autour du budget de fonctionnement pour les prochains 18 mois et des émoluments des juges nationaux et internationaux semblent désormais clos. Mais l’experte indépendante souligne que « le financement pour les 5 ans d’opérationnalité de la Cour, le recrutement des magistrats, la sécurité, la disponibilité suffisante d’avocats centrafricains bien formés et la protection des victimes et témoins restent des défis importants. »

En plus de son mandat de poursuivre les auteurs des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés en Centrafrique, de nombreux acteurs de la justice transitionnelle en RCA sont convaincus que cette Cour pénale spéciale pourrait avoir une influence positive sur l’institution judiciaire centrafricaine elle-même. Mais, insiste le représentant centrafricain, tout cela requiert « des moyens humains et financiers, ainsi qu’une coopération garantis par la communauté internationale, sans quoi les paroles échangées lors de ce dialogue ne seront pas suivies d’effet ».  

Thérèse Keita-Bocoum confirme et précise : « La justice centrafricaine en tant que telle n’est pas capable de faire face à la lutte contre l’impunité et aux besoins de justice, d’où la nécessité de créer cette Cour pénale spéciale. La justice dans son ensemble doit être réhabilitée : augmenter le nombre des juges qui ne sont qu’au nombre de 180 et améliorer leur formation. La police judiciaire aussi doit être renforcée. Il n’y a pour l’heure aucune protection possible. Les prisons et les tribunaux sont occupés par des groupes armés. C’est la restauration de la chaîne pénale qui est en jeu. »

Les abus sexuels commis par les forces internationales

Mais comme si les crimes commis par les Centrafricains eux-mêmes ne suffisaient, voilà que même certains éléments parmi les Casques bleus envoyés à la rescousse se livrent à des abus sur ces enfants. Alors que certaines ONG locales et internationales avaient exigé une enquête indépendante mais Thérèse Keita-Bocoum considère qu’il faut faire avec les règles existantes, « même si elles doivent peut-être changer. » En dépit de l’annonce de la démission d’Anders Kompass, − le lanceur d’alerte onusien, annoncée au début du mois de juin, la volonté de prévenir et de poursuivre ces pratiques au sein des Nations Unies comme au sein des pays n’est pas altérée, assure-t-elle. Il n’en demeure pas moins qu’avec encore de récents signalements d’abus sexuels commis à l’encontre de mineurs par des Casques bleus dans la région centrale de Kemo, le doute quant à la capacité réelle de ces troupes internationales à protéger les plus vulnérables subsiste de plus belle.