RDC : premier procès d’adeptes de « l’Armée de Jésus » accusés de viols de mineures

RDC : premier procès d’adeptes de « l’Armée de Jésus » accusés de viols de mineures©Photo PNUD
Une victime de violence sexuelle à Bukavu, dans le Sud-Kivu (RDC)
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Un tribunal militaire congolais doit juger, à partir de ce jeudi 9 novembre, dix-huit membres présumés d’une secte religieuse, accusés d’avoir systématiquement violé, entre 2013 et 2016, une quarantaine de filles âgées de 8 mois à 12 ans, dans le village de Kavumu, dans la province du Sud-Kivu. Selon des sources proches du dossier, ces bourreaux pensaient acquérir ainsi une force surnaturelle. Pour ce procès historique, les juges militaires siégeront sur les lieux des faits, dans ce village de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Parmi les accusés, figure le député provincial Frédéric Batumike, chef présumé de cette secte-milice dénommée « Jeshi la Yesu », l’Armée de Jésus, en  swahili. JusticeInfo.Net a interviewé Daniele Perissi, responsable du Programme RDC à TRIAL International, une des ONG qui se sont battues pour la tenue du procès.

Daniele Perissi
Daniele Perissi (© Patrick Lopreno)

Justiceinfo.net : Votre coalition présente l’ouverture du procès de Kavumu comme étant un tournant important dans la lutte contre l’impunité. Quelle est l’importance de ce procès ?

Daniele Perissi : Les crimes odieux commis à Kavumu entre 2013 et 2016 représentent un microcosme du fléau des violences sexuelles qui ravage encore la République démocratique du Congo. Ce procès met en lumière la nécessité de prendre au sérieux la lutte contre l’impunité afin de prévenir des crimes futurs. Ce procès montre également l’importance de la coordination des différents acteurs de la justice congolaise et de ses partenaires dans des dossiers aussi complexes : le travail conjoint des acteurs et leurs expertises complémentaires ont rendu possible l’aboutissement de l’enquête et l’ouverture du procès. Malgré la situation sécuritaire volatile et le fait que des crimes graves continuent d’être commis dans plusieurs régions de la RDC, le bon déroulement du procès pourrait montrer que l’impunité peut reculer parfois grâce à la volonté des autorités judiciaires et l’engagement des acteurs nationaux et internationaux. En outre, le fait qu’un député provincial ait été privé de ses immunités démontre l’importance de l’application du principe que nul n’est au-dessus de la loi et que toute personne sera sanctionnée pour ces crimes.

Le phénomène des violences sexuelles n’est pas nouveau dans cette partie de la RDC ? Qu’est-ce qui fait que les violences de Kavumu mobilisent tant d’acteurs ?

Les crimes commis à Kavumu présentent certaines particularités. Le très jeune âge des 46 victimes : toutes mineures, parfois âgées d’à peine 1 an. Ces enfants ont souffert et souffrent toujours de graves dommages corporels à leurs organes sexuels et abdominaux affectant – parfois de manière permanente – leur santé reproductive. Elles souffrent en outre d'un profond traumatisme psychologique. Elles pourraient avoir besoin de soins pour le reste de leur vie. Ensuite la répétition et le caractère systématique des attaques pendant trois ans (de 2013 à 2016), les crimes perpétrés selon un mode opératoire bien rôdé et planifié. La complexité et la perversité du mode opératoire ont mis le système de justice congolais à rude épreuve à cause de l’âge des victimes et la manière selon laquelle les crimes ont été commis : de nuit, alors que les parents dormaient, l’absence de témoins et l’utilisation de substances permettant de garder les victimes dans un état d’inconscience.

Comment appréciez-vous le traitement de ce dossier par les autorités congolaises ?

Initialement, les attaques à Kavumu ont été considérées comme des évènements isolés et traités avec lenteur et légèreté par les autorités judiciaires locales. Ce qui fait que trois ans se sont écoulés avant qu’une enquête sérieuse soit ouverte sur le dossier. Les victimes et leurs familles ont confié au procureur local l’enquête sur les évènements. Cependant aucune action n’a été entreprise par le procureur de Kavumu entre 2013 et 2015. Ce n’est qu’au milieu de l’année 2015 que le gouvernement national a reconnu que les crimes étaient d’une importance cruciale. Mais à partir de mars 2016, considérant que les crimes commis à Kavumu étaient liés les uns aux autres, le procureur militaire s’est saisi de l’affaire et a ouvert une enquête en considérant qu’il existait des indices sérieux de la commission d’un crime contre l’humanité. A partir de ce moment, les autorités d’enquête militaires ont priorisé le dossier Kavumu et utilisé les compétences à disposition pour mener une enquête approfondie et méticuleuse qui a permis d’obtenir des éléments de preuve suffisants pour construire un dossier solide et renvoyer plusieurs personnes en procès.

Qu’attendez-vous concrètement de la justice congolaise qui va juger l’affaire ?

Notre attente est que le procès contribue à faire éclater la vérité sur les crimes commis à Kavumu, établir les responsabilités des auteurs et le sanctionner de manière appropriée ainsi qu’offrir des réparations adéquates aux victimes et leurs familles. De manière plus large, nous espérons que la répression de ces atrocités enverra un message à tout acteur qui continue à commettre des exactions en RDC : toute personne sera sanctionnée si elle se rend responsable de crimes graves.

Avez-vous confiance en la justice congolaise ?

La Cour militaire du Sud Kivu a toutes les compétences et l’appui nécessaires pour mener à bien ce procès, faire éclater la vérité sur les crimes commis à Kavumu, établir les responsabilités des auteurs et offrir des réparations adéquates aux victimes et leurs familles.  Il est fondamental que les tribunaux nationaux jouent un rôle prioritaire dans la poursuite des crimes internationaux et ils sont souvent mieux placés que les institutions internationales comme la Cour pénale internationale pour offrir justice et réparation pour ces crimes. Nous souhaitons que le procès se déroule dans de bonnes conditions sécuritaires pour toutes les parties, notamment en absence de menaces, intimidations et représailles pour les familles des victimes et les témoins. Nous souhaitons que la Cour militaire puisse adopter des mesures judiciaires de protection spécifiques et appropriées à cet égard.