Un colonel de l'armée salvadorienne finalement devant la justice espagnole

Un colonel de l'armée salvadorienne finalement devant la justice espagnole©AFP/Edgar ROMERO
Célébration le 15 novembre 2002 au Salvador en mémoire des jésuites espagnols assassinés et de deux Salvadoriennes le 16 novembre 1989
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Il n’a plus aujourd’hui le même aplomb que celui qu’il affichait à l’époque où il appartenait à l’élite de l’armée salvadorienne. Ni la même superbe. A 74 ans, Inocente Montano, l’ancien colonel se distingue toujours par sa haute taille, mais, aux abords de l’Audience Nationale, à Madrid, on l’a vu vouté, grimaçant, tendu. Et pour cause : Il vient d’être extradé des Etats-Unis vers l’Espagne.

Et, pour la première fois, un haut officier du Salvador va répondre devant la justice en Espagne d’un des massacres les plus connus des années des "guerres sales"  en Amérique centrale : l’assassinat le 16 novembre 1989 de 6 jésuites (dont 5 Espagnols), d’une cuisinière salvadorienne et de sa fille.  Cette tuerie s’était produite au sein de l’Université Centroaméricaine (UCA) d’El Salvador, dirigée par le recteur jésuite basque, Ignacio Ellacuría (une des victimes), et supposément perpétrée par un corps de l’armée salvadorienne dans le cadre de son combat contre le Front Farabundo Martí de Libération nationale, la principale force d’opposition jusqu’à 2009.

 

Hors d'atteinte

 

L’ancien colonel s’est ensuite cru protégé. Tout d’abord, dans le sillage des accords de paix, en 1993, qui ont clos douze ans de Guerre civile (1980-1992), en vertu desquels les autorités nationales ont pris soin de poser une chape de plomb sur ces années noires. Ensuite parce que, grâce à un visa spécial, de ceux que l’on concédait à l’époque à des ressortissants salvadoriens «pour des désastres naturels», il s’était réfugié à Boston, aux Etats-Unis, en 2001. Là, Inocente Montano avait trouvé un emploi dans une fabrique industrielle, et se croyait véritablement hors d’atteinte de toute poursuite judiciaire. Et ce, alors que pendant les années de répression contre la guérilla du FMLN et d’innombrables civils, il occupait le poste de numéro deux du Ministère de la Sécurité. En d’autres termes, il était un des hommes forts de l’Armée au service du gouvernement d’Alfredo Cristiani.  Pour Montano, les ennuis allaient pourtant commencer. Dans les années suivant son arrivée aux Ettats-Unis, la Cour du Massachussets découvre que ses papiers sont faux. Pis : que l’ancien colonel aurait aussi été un des responsables de 65 exécutions et de 51 enlèvements, tous documentés -sans compter des centaines de détentions arbitraires et de tortures. Toutefois, c’est l’assassinat en 1989 d’Ignacio Ellacuría et des 5 autres jésuites qui demeurent au centre de l’affaire. A Madrid, il y a peu, l’intéressé a reconnu que, peu de temps avant cette tuerie, une réunion au sommet avait eu lieu, en présence du président Cristiani. Montano affirme avec force que lui n’avait reçu aucun ordre de tuer les jésuites de l’UCA. Et que «de toutes façons», en restant vague, il n’a fait qu’«exécuter des ordres». 

Détenu aux Etats-Unis en 2011

 

Aux Etats-Unis, il est détenu en 2011. Montano pense encore qu’il sortira indemne de cette incarcération. Pourquoi? Au Salvador, à la différence des autres pays au passé dictatorial et répressif (Guatemala, Argentine, Chili…), les autorités ne sont pas revenues sur l’impunité des années sanglantes -même si, récemment, en mars 2017, le Tribunal Suprême a finalement dérogé à la loi d’amnistie. Au total, seuls une demi-douzaines de militaires de rang mineur ont été poursuivis par la justice nationale. C’est l’Espagne qui finira par être  juge de l’ancien colonel. Certes, ce pays qui était à la pointe de la justice universelle a récemment vu sa législation réduire ses compétences dans le domaine des crimes de lèse-humanité. Sauf si les victimes des crimes en question sont de nationalité espagnole. Ce qui est le cas pour cinq des six jésuites massacrés dans le campus de la UCA en 1989 par un commando militaire. Montano est accusé d’avoir dirigé ce commando. Ces jours-ci, à Madrid, il va devoir s’en expliquer.