MH17 : pourquoi les Pays-Bas ont exclu les accusations de crimes de guerre

Trois Russes et un Ukrainien sont poursuivis par un tribunal néerlandais pour avoir abattu un avion civil en juillet 2014, tuant 298 personnes. A l'ouverture du procès, le 9 mars, le ministère public a précisé pourquoi il accusait « seulement » les suspects de meurtre.

MH17 : pourquoi les Pays-Bas ont exclu les accusations de crimes de guerre
Le procureur général des Pays-Bas, Fred Westerbeke, lors d'une conférence de presse de l'équipe d'enquête internationale conjointe, en juin 2019. Derrière lui, les photos des quatre hommes accusés dans le procès MH17 qui vient de s'ouvrir. © John Thys / AFP
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« Les quatre accusés sont cités à comparaître pour les motifs suivants : premièrement, le crash du vol MH17 qui a causé la mort de tous ses passagers et personnels naviguants (...) et deuxièmement, le meurtre des 298 occupants du vol », a déclaré le procureur Dedy Woei-A-Tsoi lors de l'ouverture du procès, le 9 mars. « Le ministère public estime que (les suspects) ont organisé l’acheminement vers le 17 Juillet 2014 d’une arme mortelle - un Buk Telar - à l'Est de l'Ukraine (et) jusqu’à un endroit d'où un missile a été lancé, qui a frappé le vol MH17 », a-t-elle ajouté.

Le procès s’est ouvert aux Pays-Bas, en l’absence des quatre accusés : trois Russes - Sergueï Doubinski, Oleg Poulatov et Igor Guirkine - et un Ukrainien - Leonid Khartchenko -, qui tous ont eu des responsabilités au sein de milices pro-russes à l’Est de l'Ukraine en 2014 [lire encadré] et sont accusés d'avoir fourni le système de missile anti-aérien à la milice qui a tiré sur l'avion civil.

Éviter les débats inutiles

Plus de cinq ans après le crash, les procureurs ont révélé une partie de leur stratégie en précisant qu'ils accusaient principalement les suspects de meurtre et d’avoir abattu intentionnellement un avion, deux actes passibles d'une peine de prison à vie selon la loi néerlandaise. Mais l'une des questions clés de la stratégie du ministère public était de savoir si les suspects seraient également accusés de crime de guerre.

« En les inculpant de meurtre avec préméditation, ils semblent dire que ce n'est pas une affaire relevant du droit international humanitaire », a déclaré aux journalistes Marieke de Hoon, professeur associée de droit pénal international à l'Université libre d'Amsterdam. Cela permettrait d'éviter, a-t-elle ajouté, que le procès se concentre sur les immunités des combattants et sur la question de savoir si les auteurs directs qui ont abattu l'avion avaient pris des mesures suffisantes pour déterminer s'ils avaient une cible militaire ou civile.

Lundi, le procureur Ward Ferdinandusse a tenu cependant à souligner que les procureurs ont rejeté l'idée qu’une immunité des combattants puisse s'appliquer dans cette affaire. « Elle ne s'applique qu'au personnel militaire régulier sous la supervision d'un État, dans un groupe qui respecte le droit humanitaire international et les règles de la guerre », a-t-il déclaré. « Notre conclusion provisoire est que les suspects en juillet 2014 n'étaient pas en droit de réclamer l'immunité et n'avaient aucun droit ni excuse pour recourir à la violence dans l'Est de l'Ukraine », a ajouté Ferdinandusse.

En 2018, l'équipe internationale d'enquête conjointe qui a examiné le crash avait déclaré que le vol MH17 a été abattu par un missile Buk qui provenait de la 53ème Brigade de missiles antiaériens de la Fédération de Russie. Le missile a été transporté du quartier général de la brigade, situé à Koursk, vers un champ en Ukraine où les miliciens ont tiré sur l’avion, ont indiqué les enquêteurs. Selon Marieke de Hoon, l'accusation fera probablement valoir que « si vous apportez une arme aussi meurtrière dans une zone où il n'y a pas de privilège de combattants, vous jouez ce rôle meurtrier en conscience et en étroite coopération », ce qui ferait des suspects russes et ukrainiens des coauteurs.

Recherche de la vérité

Aucun des suspects ne s'est présenté au tribunal, mais Poulatov a recruté des avocats pour le défendre. Poulatov était un adjoint de Doubinski dans les services de renseignements de la République autoproclamée de Donetsk. Dans son cas, il ne s'agit plus d'un procès in absentia. Pour les trois autres accusés, qui ne se sont pas représentés, le tribunal a décidé que l'affaire pouvait se poursuivre en leur absence. « Le tribunal permettra à une procédure régulière de prévaloir et dans le cas de Guirkine, Doubinski et Khartchenko, ils seront jugés par contumace », a déclaré le juge président Hendrik Steenhuis.

Si les procès par contumace sont inhabituels en matière de justice internationale, à l'exception du tribunal du Liban, de telles procédures ne sont pas rares aux Pays-Bas. Dans le cadre du système inquisitoire néerlandais, le ministère public et les juges s'efforcent de rechercher la vérité sur ce qui s'est passé et d’identifier ceux qui peuvent être tenus pénalement responsables. En tant que tel, le travail du ministère public ne consiste pas à obtenir la plus lourde condamnation possible, mais à garantir un procès équitable, en tenant compte des preuves potentiellement à décharge pour les suspects.

Six ans d'attente pour les familles des victimes

Le Premier ministre néerlandais a rejeté les inquiétudes concernant un procès in absentia, déclarant que le système juridique néerlandais « a une réputation d’A1 », faisant référence aux grilles de notations financières. De Hoon souligne également qu’aux Pays-Bas, les procès in absentia ont également résisté au test de la Cour européenne des droits de l'homme.

La procédure de cette semaine est pour la Cour, a-t-elle indiqué, un exercice destiné à voir où en est l'accusation, à vérifier si les accusés ou leurs avocats se présentent, et à évaluer si des enquêtes supplémentaires sont nécessaires. Les déclarations d'ouverture et les audiences sur le fond de l'affaire ne devraient pas avoir lieu avant plusieurs mois.

LES QUATRE ACCUSÉS

Igor Guirkine (Russie) - alias Strelkov (le tireur) - est un ancien colonel du FSB, le service de sécurité intérieure de la Fédération de Russie. En 2014, il a été nommé « ministre de la défense » de la république autoproclamée de Donetsk, la région séparatiste ukrainienne d'où le missile qui a touché MH17 a été tiré.

Sergueï Doubinski (Russie) est un ancien employé du GRU, le service de renseignement militaire de la Russie. Il était à la tête des services de renseignement de la république autoproclamée de Donetsk et a travaillé en étroite collaboration avec Guirkine.

Oleg Poulatov (Russie) est un ancien membre d'une unité militaire spéciale du GRU. Poulatov était l'un des adjoints de Doubinski dans les services de renseignements autoproclamés de Donetsk.

Leonid Khartchenko (Ukraine) n'a pas de formation militaire mais au moment de la destruction du vol MH17, il était le chef d'une milice autour de Donetsk.

Les procureurs affirment que les trois suspects russes ont gardé des liens étroits avec l'establishment militaire russe, ce qui leur a permis d'envoyer un missile anti-aérien dans la zone autour de Donetsk avec l'aide de Khartchenko au sol.