Le mandat du président philippin Rodrigo Duterte, qui prend fin jeudi, a été marqué par une sanglante "guerre contre la drogue" qui a fait des milliers de morts mais la probabilité qu'il soit jugé pour ces meurtres est mince, selon des analystes.
Cette politique visant à éradiquer le fléau de la drogue a conduit la Cour pénale internationale (CPI) à ouvrir une enquête sur ces meurtres qui pourraient relever du "crime contre l'humanité".
Mais Rodrigo Duterte, resté très populaire auprès de nombreux Philippins qui soutiennent sa solution "miracle" pour lutter contre la criminalité, continue de peser sur la scène politique.
Les résultats de l'élection présidentielle de mai éloignent un peu plus la perspective de poursuites contre lui, estiment des analystes.
Ferdinand Marcos Jr, fils de l'ex-dictateur du même nom, a remporté ce scrutin après avoir scellé une alliance avec la fille de M. Duterte, Sara, élue vice-présidente.
Marcos Jr a soutenu la lutte anti-drogue de M. Duterte et a déclaré que son gouvernement ne coopérerait pas avec la CPI.
"L'élection a déterminé qu'il n'y aura pas, dans les six prochaines années, d'enquête sérieuse sur le rôle de M. Duterte dans la guerre contre la drogue", estime Greg Wyatt, directeur de la veille économique chez PSA Philippines Consultancy.
M. Duterte avait appelé les policiers à tirer sur les personnes suspectées de trafic de stupéfiants en cas de légitime défense. Il assure que sa politique répressive a sauvé des familles et empêché l'archipel de devenir un "Etat narco-politique".
- Dernier espoir -
Depuis juillet 2016, au moins 6.181 personnes ont été tuées lors de plus de 200.000 opérations anti-drogue, selon les données officielles philippines. Les procureurs de la CPI estiment que leur nombre se situe entre 12.000 et 30.000.
A ce jour, seuls trois policiers ont été condamnés pour avoir tué un suspect soupçonné de trafic de drogue.
Sous la pression du Conseil des droits de l'homme des Nations unies et de la CPI, le gouvernement a examiné environ 300 interventions anti-drogue ayant conduit à des décès.
Le ministre de la Justice Menardo Guevarra a déclaré à l'AFP en octobre que la légitime défense invoquée par les forces de l'ordre avait été mise en doute dans 52 cas.
A ce jour, des poursuites ont été engagées dans cinq affaires.
Les avocats des familles de victimes entendent engager une action en justice contre M. Duterte après le 30 juin même s'ils reconnaissent qu'elle a peu de chances d'aboutir.
"Cela vaut quand même la peine d'essayer", a déclaré Edre Olalia, président de la National Union of Peoples' Lawyers, une association d'avocats des droits humains aux Philippines.
Le principal obstacle est le médiateur nommé par M. Duterte, estime la sénatrice Leila de Lima, principale opposante au président, en détention depuis cinq ans.
"Son influence sur l'actuel médiateur, seule personne autorisée à porter plainte contre lui dans le cadre de ces exécutions en dehors d'une procédure judiciaire, continuera même quand il aura quitté ses fonctions", a affirmé Mme de Lima à l'AFP.
Pour de nombreuses familles, le dernier espoir d'obtenir justice est la CPI, selon Carlos Conde, chercheur à Human Rights Watch.
- "Lutter pour la vérité" -
En septembre, la CPI a autorisé l'ouverture d'une enquête sur les meurtres commis dans le cadre de la guerre antidrogue, estimant que "l'élément spécifique constitutif du meurtre en tant que crime contre l'humanité (...) est réalisé".
Deux mois après, l'enquête a été suspendue, à la demande de Manille qui a dit enquêter sur ces crimes présumés. Pour M. Conde, le gouvernement tente ainsi de "berner" la communauté internationale, en particulier la CPI, pour "gagner du temps".
Le procureur de la CPI Karim Khan a demandé vendredi la réouverture de l'enquête "le plus vite possible", estimant "injustifié" le report demandé par Manille.
M. Duterte a refusé de coopérer avec le tribunal basé à La Haye. Même si la CPI parvient à réunir suffisamment de preuves, il ne pourra être jugé par contumace.
"La CPI, je sais que vous écoutez, arrêtez de jouer la comédie en disant que vous allez m'inculper", a lancé la semaine dernière M. Duterte.
Une autre option judiciaire est une "commission vérité non officielle", estime Ruben Carranza, expert au Centre international pour la justice transitionnelle, à New York.
Selon M. Carranza, qui a déjà participé à la campagne visant à récupérer l'argent et les biens volés par la famille Marcos, cela permettrait aux proches des victimes de raconter ce qu'ils ont vécu.
"Dans un pays comme les Philippines, je pense qu'il est important de lutter pour la vérité chaque fois que c'est possible".