En lisière d'une forêt de sapins en Corrèze, un géo-radar sonde un terrain depuis mardi pour y retrouver les corps de soldats allemands fusillés il y a 79 ans par la Résistance, selon un dernier témoin dont le récit bouscule les mémoires.
Le 12 juin 1944, sur une colline boisée de Meymac, 46 militaires prisonniers et une française soupçonnée de collaboration y auraient été exécutés par un groupement local des Francs-tireurs et partisans, d'obédience communiste, d'après un de ses membres, Edmond Réveil, 98 ans aujourd'hui.
Dans ce Limousin fief de la Résistance intérieure, la semaine a été sanglante. Le 9 juin à Tulle, 99 civils ont été pendus - 101 mourront en déportation. Le 10, 47 maquisards ont été mitraillés à Ussel et le même jour à Oradour-sur-Glane, 643 adultes et enfants étaient brûlés dans l'église.
Mais l'exécution menée par une trentaine de résistants n'était "pas une vengeance" contre l'occupant, assure M. Réveil, expliquant qu'ils étaient trop peu nombreux pour garder ces prisonniers.
"Si on les relâchait dans la nature, les Allemands auraient détruit Meymac... ça aurait été un autre Oradour", assure-t-il à l'AFP.
Connue d'une poignée de personnes durant des décennies, l'histoire a déferlé à travers le monde mi-mai, après un entretien accordé par l'ex-agent de liaison à la presse régionale.
- De l'"omerta" au "buzz" -
Pour le maire de Meymac Philippe Brugère (PS), "après l'omerta", la démarche est "honorable", "nécessaire" pour "que les familles sachent" et "regarder l'histoire avec honnêteté".
Mais localement, elle passe parfois mal.
Le Collectif Maquis de Corrèze, s'il comprend "la décision" d'identifier les corps, déplore que le "buzz médiatique" devienne "un prétexte pour salir la mémoire de la Résistance".
Joël Bézanger se rappelle des "têtes baissées" lors du premier témoignage d'Edmond Réveil, en 2019, devant les anciens combattants locaux, et estime que le retentissement récent de l'affaire a "heurté" et "dépassé" son ami.
Selon des historiens interrogés par l'AFP, les faits avaient déjà été évoqués, succinctement, par d'anciens résistants dans différents ouvrages locaux, restés confidentiels.
De premières fouilles ont même été menées, à la fin des années 1960, stoppées rapidement sans autre explication que de "possibles pressions", affirme M. Brugère, qui n'en a retrouvé "aucune mention" dans les archives de la mairie.
André Nirelli, 67 ans, témoin de ces premières excavations, se souvient des "anciens" qui évoquaient cette exécution "lors de veillées" après quelques verres.
- Fait ou crime de guerre ? -
Évasif sur les raisons qui l'ont poussé à raconter, M. Réveil se rappelle que "chaque soldat a sorti son portefeuille pour regarder sa famille en photo avant de mourir".
"Chaque maquisard tuait son bonhomme (...) ils nous ont dit de ne pas en parler... C'était un crime de guerre", glisse-t-il entre deux longues pauses.
Un terme repris par l'historien allemand Peter Lieb qui a décompté, hors Meymac, au moins 350 soldats allemands tués par des résistants à l'époque, sans ouverture d'enquête sur d'éventuels crimes.
Paul Estrade, professeur émérite de l'université Paris-8 et spécialiste de la Résistance en Corrèze, réfute le terme de crime de guerre, déplorant que l'affaire fasse l'objet d'un certain "sensationnalisme" et transforme parfois "des victimes en héros".
Pour lui, les victimes étaient des soldats d'occupation aguerris, "passés par le front russe", qui exerçaient alors de "féroces mesures répressives" dans la crainte d'un potentiel débarquement aéroporté allié dans la région, quelques jours après celui de Normandie.
L'historien corrézien Hervé Dupuy préfère qualifier cette exécution "délibérée" de "fait de guerre", considérant que l'occupant n'appliquait pas la Convention de Genève aux résistants, considérés comme des "terroristes".
Résumer l'épisode "à un massacre de sang-froid" risque d'"abîmer" la mémoire de la Résistance, voire de "nourrir le révisionnisme", juge-t-il. Alors que "restituer le contexte", rappeler "le combat de la Résistance pour la liberté et contre le fascisme" pourrait "entrer en résonance avec le présent".
Dans ses rares confidences sur son ressenti personnel, Edmond Réveil "trouve que les jeunes ne s'intéressent pas assez à la politique" et regrette que la France "arrive à une phase" où "l'Italie, la Hongrie, la Suède, la Pologne sont déjà arrivées": "La prochaine fois, on y sera", dit-il.