Israël: sous censure militaire, difficile d'évaluer les dégâts de la guerre avec l'Iran

Israël a reconnu avoir été touché par plus de 50 frappes de missiles iraniens ayant fait au total 28 morts au cours de sa guerre avec l'Iran, mais l'étendue réelle des dégâts est très difficile à évaluer, en raison des limites imposées à la presse par la censure militaire.

Selon la législation israélienne, toute publication, écrite ou visuelle, susceptible de porter atteinte à la "sécurité nationale" - une notion large - peut se voir interdire. Dès avant la création de l'Etat d'Israël, en 1948, la censure s'exerçait sur le territoire alors sous mandat britannique.

Avec les salves de missiles iraniens qui ont réussi à percer les puissantes défenses antiaériennes israéliennes au cours des 12 jours de la guerre déclenchée le 13 juin par Israël, les restrictions ont encore été renforcées.

Toute diffusion depuis "une zone de combat ou d'impact de missile" nécessite une autorisation écrite du censeur militaire, a indiqué le bureau de presse du gouvernement israélien (GPO), chargé de la communication officielle mais aussi de l'accréditation des journalistes.

La règle s'applique particulièrement pour des frappes à proximité de bases militaires, de raffineries de pétrole ou d'autres installations considérées comme stratégiques.

"Il y a évidemment une dimension de sécurité nationale bien réelle: on n'a pas envie de dire à l'ennemi où ses bombes sont tombées précisément, ni comment affiner le ciblage des prochaines", explique Jérôme Bourdon, professeur à l'Université de Tel-Aviv.

"Mais cela entretient le flou sur la vulnérabilité du pays face aux menaces extérieures: on ne connaîtra probablement jamais l'ampleur des dégâts", déplore-t-il.

- "Inverser le narratif " -

Le gouvernement israélien communique surtout sur ses succès militaires, et le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, a vanté une "victoire historique" sur l'Iran mardi, après l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu.

Pour M. Bourdon, sociologue des médias, le durcissement à l'égard de la couverture médiatique révèle "une volonté très claire d'inverser le narratif", face aux critiques internationales croissantes de l'exécutif israélien pour sa guerre dans la bande de Gaza, qui a fait des dizaines de milliers de morts et provoqué un désastre humanitaire.

Le 19 juin, un missile iranien a frappé un hôpital à Beersheva, dans le sud d'Israël, faisant une quarantaine de blessés. Le ministre de la Défense, Israël Katz, a accusé Téhéran de "tirer délibérément sur des hôpitaux et des immeubles résidentiels", évoquant des "crimes de guerre". L'Iran a nié avoir visé l'hôpital.

Les défenseurs des droits humains dénoncent régulièrement la destruction du système de santé à Gaza, où l'armée israélienne cible des hôpitaux, affirmant qu'ils sont utilisés comme bases par des combattants palestiniens.

Au cours de la guerre avec l'Iran, plusieurs incidents ont émaillé la couverture médiatique près des zones civiles frappées, où la presse étrangère a été empêchée de filmer des plans trop larges, ou de mentionner précisément où les projectiles étaient tombés.

Jeudi à Ramat Gan (centre), la police a interrompu le direct de deux agences de presse occidentales filmant un immeuble éventré, les soupçonnant de fournir des images à la chaîne qatarie Al-Jazeera, interdite en Israël depuis mai 2024, en raison notamment de sa couverture du conflit à Gaza.

- "Contenus illégaux" -

La police a indiqué dans un communiqué avoir voulu faire cesser la diffusion de "contenus illégaux" en conformité avec la "politique" du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir.

Cette figure de l'extrême droite, réputé pour ses discours incendiaires visant toute voix critique, a promis le 16 juin d'employer la manière forte contre quiconque "porterait atteinte à la sécurité de l'Etat".

"Tolérance zéro envers ceux qui aident l'ennemi", a renchéri Shlomo Karhi, ministre de la Communication.

Ces ministres "font des déclarations qui outrepassent le cadre légal de leurs pouvoirs", décrypte pour l'AFP Tehilla Shwartz Altshuler, chercheuse à l'Israel Democracy Institute (IDI).

"Ils font toujours beaucoup de bruit" pour "attirer l'attention de leur base" électorale et en "tirer un avantage politique", poursuit la chercheuse.

Au-delà des calculs politiciens, "il existe de la part de ces responsables une hostilité réelle, une méfiance profonde à l'égard des médias libéraux israéliens à l'intérieur et surtout des médias étrangers", estime M. Bourdon.

En réponse à des "demandes de clarification", le GPO a affirmé jeudi son attachement à "la liberté de la presse (...) comme un droit fondamental" et assuré qu'il ne faisait "aucune distinction entre journalistes israéliens et non-israéliens".

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