Le Pakistan courtise son ex-rival, le Bangladesh, sous l'oeil attentif de l'Inde

Des décennies après la guerre d'indépendance du Bangladesh, né en 1971 de la scission avec le Pakistan, l'ancien combattant Syed Abu Naser Bukhtear Ahmed observe avec prudence le réchauffement des relations entre les deux pays.

Cette semaine, le Bangladesh accueille pour la première fois depuis des années des ministres pakistanais dans l'objectif de renouer les liens, à l'heure où l'échiquier diplomatique en Asie du Sud est en pleine mutation.

Séparés de l'Inde lors de l'indépendance en 1947 et distants de 1.600 km de part et d'autre de celle-ci, le Bangladesh (alors nommé "Pakistan oriental") et le Pakistan ont formé une entité unique jusqu'à ce que le Bangladesh déclare son indépendance en 1971, avec à la clé une guerre qui a laissé une plaie béante entre les deux pays.

Des centaines de milliers de personnes avaient alors été tuées, Dacca parlant de millions.

"La cruauté était sans limite", se souvient M. Ahmed, un ancien combattant de 79 ans, décrivant l'horreur dont il a été témoin lors de ce conflit fratricide.

"J'aurais aimé voir les responsables jugés -- ceux qui ont tué six de mes amis", avoue ce banquier lors d'un entretien avec l'AFP.

Depuis, seuls les liens culturels ont perduré entre ces deux pays à majorité musulmane partageant le même amour pour le cricket, la musique et le shalwar kameez (longue tunique et pantalon de couleur unie).

Après ce conflit, le Bangladesh, qui compte 170 millions d'habitants, s'est rapproché de l'Inde, ennemi juré du Pakistan.

Mais depuis la chute en août 2024 de l'ex-Première ministre bangladaise Sheikh Hasina, qui a fui en Inde, les relations entre le nouveau pouvoir et New Delhi se sont tendues.

Dans le même temps, Islamabad et Dacca se sont rapprochés.

- Echanges commerciaux -

Le ministre pakistanais du Commerce, Jam Kamal Khan, est arrivé jeudi au Bangladesh, et celui des Affaires étrangères, Ishaq Dar, est attendu samedi.

Ces visites seront attentivement suivies par New Delhi, notamment après sa confrontation militaire avec le Pakistan en mai.

Le gouvernement bangladais provisoire de Muhammad Yunus exige que Mme Hasina, visées par des mandats d'arrêt notamment pour crime contre l'humanité, quitte son exil en Inde pour être jugée.

"Le Bangladesh était l'un des plus proches alliés de l'Inde dans la région et maintenant il flirte avec le principal adversaire de New Delhi", relève Michael Kugelman, un analyste basé aux Etats-Unis.

La dernière visite à Dacca d'un ministre pakistanais des Affaires étrangères remonte à 2012, selon des médias bangladais.

En février, les deux pays ont repris, après des décennies, leurs échanges commerciaux directs.

"C'est l'émergence d'une nouvelle équation stratégique, qui réduit l'influence indienne et qui renforce un axe de coopération" entre les deux pays, analyse Azeem Khalid, expert en relations internationales basé à New York, selon qui "cette évolution pourrait remodeler l'ordre géopolitique et économique de l'Asie du Sud".

Outre l'intensification des relations commerciales et diplomatiques, "les deux pays ont assoupli les conditions d'obtention de visas et ébauché une coopération militaire", souligne Thomas Kean, analyste de l'International Crisis Group.

- Excuses taboues -

Mais le chemin vers la réconciliation demeure semé d'obstacles.

Le Pakistan reste notamment sourd aux appels d'une partie de la population du Bangladesh qui demande des excuses officielles pour la guerre.

Mais pour Qamar Cheema, expert en politique étrangère à l'Institut Sanober d'Islamabad, le rapprochement n'est possible que si le Bangladesh n'évoque pas cette demande.

Dacca assure toutefois que "toutes les questions seront sur la table".

"Tant que la blessure reste ouverte, la relation ne peut pas être durable", juge l'anthropologue Syeed Ferdous, de l'université Jahangirnagar de Dacca.

Pour Meghna Guhathakurta, une universitaire bangladaise à la retraite dont le père a été tué par les troupes pakistanaises, Islamabad "devrait rendre publiques toutes les informations relatives à la guerre".

Les résultats des législatives qui se dérouleront en février au Bangladesh pourraient changer la donne.

"Si le prochain gouvernement est prêt à recoller les morceaux avec l'Inde et New Delhi est disposée à faire de même, alors l'essor des relations avec Islamabad pourrait en pâtir", note Michael Kugelman.

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