La création "Musiques interdites" d'un collectif d'artistes français rend hommage dans un cabaret musical aux compositeurs jugés "dégénérés" par les nazis et à leurs oeuvres censurées par le III? Reich.
Dirigé par le violoniste Samuel Hengebaert et mis en scène par David Lescot, ce spectacle puise dans le répertoire honni des nazis : jazz, cabaret, musique moderniste mais aussi baroque.
Créé par le collectif Acte[Six], il est présenté jeudi et vendredi au Théâtre de Caen (nord-ouest), avant une tournée jusqu'en juin dans plusieurs villes de la région.
Il est conçu comme "un hymne à la liberté formelle face à la tyrannie" et célèbre "l'extraordinaire vitalité et l'invention inouïe dont a fait preuve cette génération allemande, autrichienne et tchèque", estime M. Hengebaert.
Parmi les compositeurs persécutés dont les oeuvres seront jouées : Gideon Klein, Hanns Eisler, Erwin Schulhoff, Ilse Weber, Paul Dessau ou encore Kurt Weill, la plupart contraints à l'exil ou assassinés dans les camps.
Maîtresse de conférences en musicologie à l'université de Grenoble Alpes (sud-est), Elise Petit, dont la thèse a inspiré le spectacle, souligne que la musique des années 1920 en Allemagne, "avant-gardiste", "a été réduite au silence".
La quinzaine de compositeurs revisités par "Musiques interdites" figuraient, parmi d'autres, dans l'exposition organisée en 1938 à Düsseldorf (ouest de l'Allemagne), "Entartete Musik" (en allemand "musique dégénérée", NDLR), qui attaquait ces artistes "trop modernes, juifs, ou engagés politiquement trop à gauche, notamment les communistes", rappelle la chercheuse.
Sous le contrôle du ministre de la propagande Joseph Goebbels, la "chambre de musique du Reich" privait de commandes et mettait au chômage les artistes qui allaient à l'encontre de l'idéologie nazie, rappelle-t-elle.
Ceux qui le pouvaient se sont exilés d'abord en Autriche, ensuite en France, puis aux Etats-Unis après 1940.
Les artistes juifs, eux, ont été déportés "massivement" vers les camps d'extermination.
Parmi ceux-là, l'autrice pour enfants Ilse Weber, née juive en Autriche-Hongrie, transportée en 1942 dans le camp ghetto de Theresienstadt.
Elle y veillait sur les enfants d'un foyer pour lesquels elle a écrit plusieurs berceuses "vraiment rassurantes", juge Elise Petit, dont le morceau final de "Musiques Interdites", "Wiegala". Ilse Weber fut assassinée le 6 octobre 1944 avec son fils Tomas dès son arrivée au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau.
Le régime nazi a fait disparaître ces artistes de la vie politique, musicale et les a "tellement réduits au silence qu'on a mis des années à les redécouvrir", même après la guerre, analyse Elise Petit.
"Le contexte de guerre froide a aussi retardé" côté occidental la redécouverte de compositeurs communistes, "tels que Kurt Weill ou Hanns Eisler, qui travaillaient beaucoup avec Bertolt Brecht", conclut-elle.

