Pérou: menacé de destitution, le président Kuczynski affronte le Parlement

Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski joue jeudi sa survie politique au Parlement contrôlé par l'opposition: il y répond d'accusations de corruption dans le cadre d'un scandale éclaboussant toute la région, et risque d'être destitué dans la foulée par un vote.

"PPK", comme on le surnomme deviendrait alors le premier chef de l'Etat débarqué pour ses liens avec Odebrecht, le géant du BTP brésilien qui a reconnu avoir payé près de cinq millions de dollars à des entreprises de conseil directement liées au chef de l'Etat, alors ministre, entre 2004 et 2013.

"Je viens prouver mon innocence", a déclaré M. Kuczynski en ouverture de son discours, qui a débuté peu après 14H30 GMT. Il disposait avec son avocat d'une heure trente pour exposer sa défense devant le Parlement unicaméral réuni en séance plénière. Son intervention sera suivie d'un débat.

"Ce qui est en jeu, c'est la démocratie que le Pérou a eu tant de mal à récupérer", a-t-il ajouté, avant de demander "pardon" pour son manque de rigueur dans la déclaration de ses activités de l'époque.

Le président péruvien, qui compte expliquer dans le détails qu'aucun des paiements du groupe de bâtiment n'était illégal, est en poste depuis juillet 2016, après avoir battu de peu Keiko Fujimori, la fille de l'ex-chef de l'Etat Alberto Fujimori (1990-2000), emprisonné pour crime contre l'humanité et corruption. Elle dirige depuis l'opposition.

Pour que le président soit destitué, il faudra ensuite le vote favorable des deux tiers du Parlement, soit 87 voix sur 130. Cela apparaît comme une formalité, 93 législateurs ayant approuvé l'ouverture du processus. Le parti de PPK ne compte que 17 sièges.

- 'Coup d'Etat' -

Dans ce cas, son premier vice-président, Martin Vizcarra, prendrait sa place jusqu'à la fin du mandat en cours, le 28 juillet 2021. Selon un récent sondage, 57% des Péruviens estiment que le président doit démissionner.

"Le sort du président Kuczynski est scellé", a déclaré à l'AFP l'analyste politique Luis Benavente, pour qui le dirigeant de centre droit sera destitué dès jeudi.

Le président a déposé mercredi soir un recours non suspensif devant la justice.

Dans un message diffusé mercredi soir à la radio et à la télévision, M. Kuczynski a qualifié la procédure engagée contre lui de "coup d'Etat".

Depuis le lancement du processus de destitution, la semaine dernière, l'inquiétude grimpe d'heure en heure. Les analystes préviennent que l'économie pourrait être "durement touchée" par cette instabilité politique, et l'Eglise péruvienne a appelé à éviter une amplification de la crise.

Avec 2,7% attendu en 2017 et 3,8% en 2018, selon le FMI, le Pérou enregistre une croissance parmi les plus élevées de la région.

Ancien banquier de Wall Street âgé de 79 ans, M. Kuczynksi avait nié dans un premier temps tout lien avec Odebrecht, avant d'être démenti par l'entreprise elle-même. Phrasé posé, cheveux gris et fines lunettes, ce cousin du célèbre réalisateur Jean-Luc Godard a occupé de nombreux postes à responsabilité durant sa carrière, passant du public au privé.

Le gigantesque scandale de corruption Odebrecht a touché, outre le Brésil et le Pérou, des pays comme l'Equateur, le Mexique, le Panama et le Venezuela.

La semaine dernière, le vice-président équatorien Jorge Glas s'est vu infliger six ans de prison pour avoir perçu pour plusieurs millions de dollars de pots-de-vin du groupe brésilien.

- 'Qu'ils dégagent !' -

De son côté, la chef de l'opposition, Keiko Fujimori est également sous le coup d'une enquête dans le cadre du dossier Odebrecht. Appelée à témoigner devant le parquet mercredi, elle a demandé le report de son audition.

Signe de la méfiance des Péruviens envers leurs dirigeants, des milliers de personnes ont défilé mercredi à Lima pour exiger le départ de "tous les corrompus". Parmi les milliers de manifestants qui ont défilé, certains portaient des pancartes proclamant "Qu'ils dégagent !", "Une marche pour la démocratie", "Dehors les corrompus".

PPK n'est pas la seule personnalité, au Pérou, à être inquiétée par le dossier Odebrecht: l'ex-président Ollanta Humala (2011-2016) est en détention provisoire, accusé d'avoir reçu trois millions de dollars lors de sa campagne électorale.

Un autre ancien président, Alejandro Toledo (2001-2006), est lui visé par un mandat d'arrêt et une demande d'extradition. Soupçonné d'avoir perçu 20 millions de dollars, il se trouve actuellement aux Etats-Unis.

Justice Info est sur Bluesky
Comme nous, vous étiez fan de Twitter mais vous êtes déçus par X ? Alors rejoignez-nous sur Bluesky et remettons les compteurs à zéro, de façon plus saine.
Poursuivez la lecture...