Au Kosovo, le village serbe qui a Handke pour bienfaiteur

Dans le minuscule village viticole de Velika Hoca, dans le sud de Kosovo, chaque foyer a une copie d'un ouvrage de l'écrivain autrichien Peter Handke.

Les 500 habitants de cette enclave serbe isolée au milieu de villages albanais connaissent aussi personnellement le lauréat controversé du prix Nobel de littérature. Celui-ci s'est rendu au moins cinq fois à Velika Hoca, auquel il a donné près de 100.000 euros.

"C'est un homme bien. C'est le seul qui s'est rappelé de nous aider", dit Vesna Manitasevic. Elle raconte qu'après le premier don, chaque habitant avait reçu environ 38 euros.

Si le village est ravi de la consécration de leur bienfaiteur, qui recevra son prix Nobel le 10 décembre, ses voisins ne le sont pas.

Pour une bonne partie du Kosovo et des Balkans, l'affection de l'écrivain pour Velika Hoca fait écho au soutien que cet admirateur de Slobodan Milosevic avait apporté aux forces serbes durant les guerres qui avaient accompagné l'éclatement de l'ex-Yougoslavie.

Peter Handke s'était même rendu aux obsèques de l'ancien homme fort de Belgrade, chantre de la grande Serbie mort en 2006 alors qu'il attendait son jugement pour génocide, crimes de guerre et contre l'humanité.

En décidant en octobre de décerner la prestigieuse récompense à l'écrivain autrichien, le comité Nobel a suscité une vague d'indignation dans le monde.

Mais à Velika Hoca, une grande affiche ornée d'un portrait de l'auteur en train de lire un livre est accrochée aux murs. "Félicitations à notre Nobel", proclame-t-elle anglais, serbe et italien.

- "Compassion" -

Les habitants se disent reconnaissants de l'empathie de l'auteur pour leur situation de minorité dans l'ancienne province serbe, théâtre en 1998-1999 du dernier conflit de l'ex-Yougoslavie.

"Nous sommes fiers qu'il soit un ami de Velika Hoca", dit Marko Spasic, directeur de l'école primaire. "Il a vu que nous étions une enclave encerclée, je crois qu'il ressentait de la compassion pour nous".

L'auteur s'est découvert une espèce de fascination pour Velika Hoca, dont la population comptait avant guerre 1.700 habitants et qui figure parmi la dizaine d'enclaves serbes que compte le Kosovo. Le village, qui comprend une dizaine d'églises orthodoxes, dont certaines datent du Moyen-Age, est l'un des peuplements serbes les plus anciens du territoire.

D'après Miroslav Lukic, le représentant du village, l'écrivain lui a remis voici une quinzaine d'années 50.000 euros, suivi de 48.000 euros émanant en partie du prix Ibsen de théâtre obtenu en 2014.

"Même s'il y a de gros problèmes, je crois que la vie a un bon rythme ici", a dit Peter Handke cette année là lors d'une visite, expliquant être venu "pour s'informer des besoins du village".

Durant un précédent séjour d'une semaine en 2008, peu après la déclaration d'indépendance du Kosovo, il avait fait le portrait des lieux dans un ouvrage intitulé "Les coucous de Velika Hoca", décrivant un endroit écartelé entre "la résignation et l'espoir".

L'éditeur le présente comme un travail " littéraire-journalistique".

Les vignes de Velika Hoca (Hoca la grande) touchent celle de Hoca e Vogel (Hoca la petite), la voisine albanaise où ne s'est jamais rendu Peter Handke.

- "Relations gelées" -

Si trois kilomètres seulement séparent les deux localités, leurs destinées sont parallèles.

"Il aurait dû venir ici, où il y a des victimes", accuse Abdurrahim Berisha, un paysan de 60 ans de Hoca e Vogel. Il montre d'une main tremblante le cimetière où sont enterrés 40 civils tués pendant la guerre.

Trois de ses enfants et 10 autres proches sont tombés sous le feu serbe alors qu'ils tentaient de se réfugier dans la montage, raconte-t-il à l'AFP. Le minaret du village porte toujours les stigmates d'un conflit qui coûta la vie à environ 11.000 Albanais.

Quelque 2.000 Serbes furent également tués tandis que des dizaines de milliers d'autres furent déplacés.

A Velika Hoca, il y eut plusieurs enlèvements, dont deux journalistes serbes qui ne furent jamais retrouvés.

Vingt ans plus tard, "les relations entre les deux villages sont gelées", constate Ramadan Krasniqi, ancien combattant de la guérilla kosovare. "Nous sommes inquiets qu'un partisan des massacres et du génocide contre notre nation reçoive ce prix".

Les Albanais du Kosovo n'ont pas oublié qu'en 1999, l'écrivain avait restitué le prix littéraire allemand Buechner pour protester contre la campagne de frappes de l'Otan qui contraignit Milosevic à retirer ses forces du Kosovo.

"C'est un terroriste comme Milosevic", déclare Abedin Krasniqi, un villageois de 72 ans. "Si ça ne tenait qu'à moi, je ne le laisserais pas mettre les pieds au Kosovo".

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