Plus de quarante ans après la fin de la dictature, un ancien ministre espagnol va être entendu jeudi par une juge argentine chargée d'enquêter sur des crimes commis sous le régime franquiste mais aussi pendant la transition démocratique qui a suivi.
S'il n'est pas officiellement inculpé, Rodolfo Martín Villa, ancien ministre de l'Intérieur âgé de 85 ans, doit être auditionné au sujet de la mort de 12 personnes entre 1976 et 1978, au moment où l'Espagne s'ouvrait à la démocratie, sur fond d'attentats perpétrés par des groupes d'extrême gauche et d'extrême droite et de sévères épisodes de répression politique.
Préfet de police de Barcelone lors des dernières années du franquisme, nommé ministre après la mort du dictateur, et figure majeure de la transition, l'octogénaire a été convoqué à 16H00 (14H00 GMT) au consulat argentin de Madrid, afin d'être entendu par visioconférence par la juge Maria Servini, qui enquête après la plainte déposée dans son pays par des associations de victimes du franquisme en 2010 pour génocide et crimes contre l'humanité en vertu du principe de justice universelle.
La juge doit l'interroger sur la mort de cinq ouvriers grévistes, tués par la police lors d'un rassemblement en mars 1976 à Vitoria, dans le nord de l'Espagne, alors qu'il était ministre des Relations syndicales. Il doit également être entendu sur la mort de sept autres personnes lorsqu'il était ministre de l'Intérieur.
L'ex-ministre, qui a toujours clamé son innocence, a transmis à la juge Servini une vingtaine de courriers de soutien émanant notamment d'anciens Premiers ministres, qui affirment qu'il a "toujours agi avec un engagement total pour défendre l'Etat de droit et réformer les forces de l'ordre", selon un communiqué de ses avocats.
A l'issue de sa déposition, la juge pourrait l'inculper et demander son extradition, déjà réclamée en vain en 2014.
"C'est la première fois qu'un responsable politique qui a agi pendant la dernière période de la dictature et pendant la période de transition doit s'expliquer devant un juge pour des faits d'une très grande gravité", explique à l'AFP Jacinto Lara, avocat de CEAQUA, le collectif d'associations qui a déposé plainte en Argentine.
Jusqu'à présent, toutes les tentatives ont été stoppées net en Espagne en raison de la Loi d'Amnistie de 1977, qui a empêché au nom de la transition vers la démocratie toute poursuite pour des délits politiques, pour les opposants à Franco, mais aussi pour ses partisans.
Le temps joue contre les plaignants qui tentent à tout prix de faire juger les responsables avant leur mort. Juan Antonio González Pacheco, ex-policier franquiste accusé de tortures et surnommé Billy the Kid ou l'ex-ministre franquiste, José Utrera Molina, contre qui des plaintes avaient été déposées, sont tous deux décédés.

