11.03.08 - RWANDA/CANADA - LE PROCES DE DESIRE MUNYANEZA DURE DEPUIS PRES D'UN AN

Montréal, 11 mars 2008 (FH) – Au procès de Désiré Munyaneza, un rwandais réfugié au Canada et accusé de participation au génocide de 1994 qui dure depuis près d'un an, le Canada redécouvre l'horreur du génocide (800 000 morts entre avril et juillet 1994), mais aussi les intrigues qui animent le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et les gacacas, ces tribunaux semi-traditionnels rwandais.    

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Viols, enlèvements, incitation au génocide et meurtres : les dix premiéres personnes venues du Rwanda pour témoigner devant la Cour Supérieure du Québec depuis le 26 mars 2007 ont dressé un portrait sanguinaire de l'accusé. Ce fils d'un commerçant aisé de Butare (sud), arrivé au Canada en 1997 avec un faux passeport camerounais, doit répondre de sept chefs d’accusations (deux de génocide, deux de crimes contre l’humanité et trois de crimes de guerre).
 
Selon les rescapés (principalement des femmes) venus témoigner, Munyaneza figurait parmi les leaders hutus de Butare. Se faisant appeler « Gikovu » (cicatrice en kyniarwanda), il aurait dirigé des barrages routiers et massacré des Tutsis, en compagnie d'Arsène Shalom Ntahobali, fils de la ministre de la famille, Pauline Nyiramasuhuko (tous deux sont jugés devant le TPIR).
 
Souvent, les récits ont porté sur les exactions commises sur un terrain situé à l'arrière du bâtiment de la préfecture, où avaient trouvé refuge des centaines de Tutsis. Des témoins ont raconté y avoir régulièrement aperçu M. Munyaneza, notamment en train de « sélectionner » des hommes pour être exécutés un peu plus loin.
 
La tension est montée d'un cran lorsque des rescapés ont affirmé avoir assisté ou été victime de viols perpétrés par Munyaneza. Deux jeunes femmes ont ainsi raconté avoir été emprisonnées au domicile de l'accusé, subissant des viols à répétition. « J'ai arrêté de me battre et je lui ai dit qu'il pouvait venir tant qu'il voulait et me faire tout ce qu'il voulait parce j'étais comme morte », a déclaré la témoin C-21.
 
Mais très vite, les avocats de M. Munyaneza (des Québécois qui ont déjà travaillé au TPIR, notamment pour le procès de Butare), ont relevé certaines contradictions avec les déclarations faites par les témoins à Arusha. La défense a notamment souligné que jamais ces derniers n'avaient parlé de Munyaneza lors du procès de Ntahobali, où ils avaient pourtant longuement comparu.
 
Reste que les témoignages reccueillis auprès de 14 génocidaires rwandais lors d'une commission rogatoire au pays des milles collines sont accablants. Ces prisonniers, certains condamnés à mort, ont dit avoir été enrôlés par Munyaneza, qui dirigeait des milices en compagnie de Ntahobali.

L'un des témoins, RCW-13, a notamment raconté comment entre 300 et 400 Tutsis, réfugiés dans l'église de Ngoma, avaient été massacrés. L'homme de 41 ans a raconté au tribunal canadien avoir vu Munyaneza, accompagné de gendarmes et de soldats, arriver vers l'église de ce bourg situé non loin de Butare. « Désiré m'a dit d'y aller et d'ouvrir la porte arrière de l'église », a-t-il poursuivi. Les réfugiés tutsis avaient ordre de quitter l'église, cinq par cinq, et de se rendre dans la forêt voisine. « Ils [les tueurs, ndlr] utilisaient d'abord des fusils, d'autres utilisaient des gourdins et ceux qui ne mouraient pas tout de suite, c'est Munyaneza qui les achevait avec son pistolet », peut-on lire dans les 2000 pages d'interrogatoires mises à disposition du public au palais de justice de Montréal.
 
En plus de ces 24 témoins directs, la Couronne, qui mène l'accusation, a fait comparaître à l'automne 2007 trois témoins dits « de contexte » : Rony Zachariah (un médecin de MSF qui travaillait à l'hôpital de Butare), Roméo Dallaire, (l'officier canadien qui dirigeait les troupes de l'ONU présentes au Rwanda entre 1993 et 1994), et Alison Des Forges (une historienne, militante des droits de l'homme). Il n'y a plus eu de témoignages jusqu'à ce que la défense entame sa preuve, en janvier dernier.
 
Depuis la reprise, déjà 15 témoins ont comparu (dont trois lors d'une commission rogatoire en France), mais la crédibilité de tous les témoignages n'a pas convaincu le juge André Denis. Le magistrat a récemment déclaré avoir identifié « de grands pans de témoignages que je ne retiendrai pas parce qu'ils ne sont pas pertinents ».
 
« Ce qu'on a entendu jusqu'à date est plus périphérique, mais on s'en va vers le plus précis », a dit Me Perras, un des avocats de la défense, à l'Agence Hirondelle. « Un des témoins que la cour va entendre lors de la commission rogatoire en Tanzanie prévue en mai dit clairement avoir été acheté pour dire des choses contre Désiré [Munyaneza] à la police canadienne. […] Parmi les personnes qui ont voulu acheter le témoin, il y a un témoin de la poursuite. »
 
De plus, un des témoins de la défense, DDM 12 (un ami d'enfance de l'accusé) aurait subit des pressions lui déconseillant de venir témoigner à Montréal. Depuis, DDM 12 a demandé l'asile politique au Canada. Selon Me Perras l'auteur de cette tentative d'intimidation occupe « une fonction d'autorité au Rwanda ».
 
Face à ces deux déclarations, la Couronne, en la personne de Me Gauthier, rétorque que ce ne sont là que de « simples allégations ».
 
Si le programme de travail est respecté, la défense devrait achever sa preuve avant l'été, ce qui permettrait de débuter les plaidoyer en septembre. Un jugement n'interviendrait pas avant Noël. Il aura ainsi fallu près de deux ans pour que se tienne le premier procès du genre au Canada, pays qui hébergerait près de 800 génocidaires présumés, selon les chiffres d'associations de victimes.
 
CS/PB/GF
© Agence Hirondelle