Procès d'un ex-préfet rwandais: il "n'est pas le monstre que certains" décrivent, assurent des témoins

Au procès à Paris d'un ex-préfet rwandais pour génocide, plusieurs témoins l'ont décrit comme un homme "sans haine", qui ne "faisait pas de différence" entre Hutus et Tutsis, une "neutralité" toutefois problématique en plein génocide, ont fait valoir les parties civiles.

"C'est pas le monstre que certains témoignages veulent présenter", a assuré un ancien haut-fonctionnaire au ministère de l'Education nationale, qui l'a croisé au début du génocide contre les Tutsis, en avril 1994.

Laurent Bucyibaruta, préfet de Gikongoro entre 1992 et juillet 1994, est jugé depuis le 19 mai devant la cour d'assises de Paris pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité.

L'ex-préfet de 78 ans, qui vit en France depuis 1997 et comparaît libre, nie ces accusations.

Après plusieurs semaines consacrées aux experts et aux témoins des massacres dans cette zone du sud du Rwanda, la cour entend depuis plusieurs jours des personnes ayant connu l'accusé durant son long parcours dans l'administration et pendant le génocide.

Etait-il l'"homme fort" de la région, félicité par le gouvernement pour son application du plan génocidaire, comme le soutiennent les parties civiles et l'accusation, ou un homme "modéré", "dépassé" par une situation "chaotique", comme l'ont affirmé plusieurs témoins, souvent eux-mêmes condamnés pour participation au génocide?

"Je le vois comme un homme correct qui ne pouvait pas penser à assassiner les gens. A Gikongoro, il se trouvait devant une situation qu'il n'a pas provoquée", a ainsi estimé jeudi le général Emmanuel Habyarimana, alors directeur des études de l'Ecole supérieure militaire. L'établissement, situé à Kigali, s'était replié dans la région du préfet en mai 1994, devant l'avancée du Front patriotique rwandais (FPR, majoritairement Tutsi).

"Selon moi, le préfet Laurent Bucyibaruta n'a pas voulu faire preuve de discrimination, je pense qu'il voulait sincèrement que ça se passe bien entre Hutus et Tutsis. C'était un pacifiste", a affirmé mardi Juvénal Muhitira, à l'époque bourgmestre de Kivu, l'une des treize communes de la préfecture.

- "On se trompe de cible" -

"Ce qui me chagrine, c'est qu'on se trompe de cible. Mon papa n'a jamais été un ennemi des Tutsis", a fait valoir lundi l'un de ses fils, âgé de 48 ans.

"Est-ce que quand des gens se font massacrer, maintenir une neutralité ce n'est pas soutenir l'oppresseur?", s'est interrogé un avocat des parties civiles.

"Soutenir l'oppresseur ça aurait été si j'avais incité les gens à commettre des massacres. J'ai fait ce que je pouvais, dans une période trouble", a répliqué l'accusé.

"Il était au coeur du pouvoir, il ne peut pas se défausser", a au contraire estimé Dafroza Gauthier, co-fondatrice du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, en marge de l'audience.

"Ceux qui sont restés en fonction étaient d'accord avec la politique du gouvernement, qui était l'extermination des Tutsis", a affirmé au début du procès François-Xavier Nsanzuwera, ancien avocat général au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Plusieurs témoins, comme le secrétaire du préfet, ont eux corroboré la version d'un homme "débordé" par des extrémistes "hors de contrôle": les milices Interahamwe et la frange "Hutu Power" de l'armée et du Mouvement démocratique républicain (MDR).

Lors d'une réunion pour financer la "défense civile", début juin 1994, certains l'auraient pris à partie parce que, sa femme et son chauffeur étant Tutsis, on le soupçonnait d'en cacher d'autres.

Le général Emmanuel Habyarimana a même assuré avoir un jour croisé le sous-préfet Damien Biniga entouré d'hommes armés, se disant décidé à "abattre le préfet, qui ne veut pas agir". Il serait parvenu à le raisonner.

"Je ne me sentais pas la force de protéger les gens comme je l'aurais souhaité", a expliqué mercredi Laurent Bucyibaruta, après le témoignage d'un important commerçant de la préfecture voisine de Butare, "déçu" qu'il ait refusé de ramener avec lui "une femme tutsie et ses trois enfants" qu'il cachait chez lui.

Pourtant, la témoin suivante, secrétaire au parquet de Gikongoro, dont les parents étaient amis du préfet, raconte qu'il a fait escorter par des gendarmes sa soeur infirmière à Butare, Hutue mais que les gens prenaient pour une Tutsie en raison de sa "taille élancée".

"Dans un cas, il s'agit de Tutsis", et le préfet refuse, "dans l'autre, une femme hutue, vous acceptez d'activer votre réseau personnel en sollicitant un officier à Butare", a observé l'une des deux avocats générales.

Le procès doit durer jusqu'au 12 juillet.

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