"Vous ferez le choix du courage": au procès à Paris de l'ancien préfet Laurent Bucyibaruta, accusé d'avoir participé au génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda, la défense a plaidé lundi l'acquittement de l'ex-fonctionnaire "isolé et sans force" pour empêcher les massacres.
L'accusation a requis vendredi la réclusion criminelle à perpétuité à l'encontre de l'accusé de 78 ans, qu'elle considère complice d'un massacre de Tutsi et auteur de quatre autres dans sa préfecture de Gikongoro, région du sud du Rwanda parmi les plus touchées par le génocide qui a fait au moins 800.000 morts dans le pays entre avril et juillet 1994.
"Au terme de deux mois de procès, vous savez que Laurent Bucyibaruta n'a en aucune manière sciemment contribué au génocide des Tutsi", fait valoir l'un de ses avocats, Me Jean-Marie Biju-Duval.
Et "non, il n'avait pas le pouvoir effectif de mettre fin aux massacres", estime Me Biju-Duval.
Préfet de Gikongoro de juillet 1992 à juillet 1994, Laurent Bucyibaruta a toujours nié les accusations qui lui valent d'être jugé pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité, 28 ans après les faits.
Sa défense avait en vain tenté de faire annuler les poursuites au premier jour d'audience, le 9 mai, arguant de délais "déraisonnables".
Pendant les neuf semaines de débats, l'ancien haut fonctionnaire, qui vit en France depuis 1997 et comparaît libre sous contrôle judiciaire, s'est dit "dépassé" par l'ampleur des massacres et a maintenu jusqu'au dernier jour avoir fait ce qu'il avait pu pour "chercher la paix" et "protéger la population".
Il a "failli à son devoir" alors qu'il "avait des moyens d'agir", avaient souligné les représentantes du parquet national antiterroriste (Pnat) dans leur réquisitoire.
Pour les avocates générales, Laurent Bucyibaruta a été "un rouage incontournable sans lequel la machine meurtrière n'aurait pas pu être mise en oeuvre". S'il "n'a tué aucune personne", l'ex-préfet "a sur lui le sang de toutes les victimes tuées à Gikongoro".
- "Civil sans arme" -
"Mais que savait-il, lui, de la logique génocidaire, conçue et mise en oeuvre par les cercles extrémistes ?", rétorque Jean-Marie Biju-Duval.
Il met en garde face au "danger des reconstructions a priori" et des "déductions hâtives", parmi lesquelles, parce que Laurent Bucyibaruta était préfet et donc responsable de la sécurité, il serait "coupable" des massacres.
Soulignant "la complexité" du génocide des Tutsi, le pénaliste insiste encore sur la nécessité de rester "extrêmement humble, prudent dans l'appréciation de ce qui s'est passé".
Dans la préfecture de Gikongoro comme ailleurs au Rwanda, les incendies et pillages de maisons de Tutsi, et les tueries, avaient commencé peu après l'attentat contre le président hutu Juvenal Habyarimana, le 6 avril 1994.
Le préfet Bucyibaruta prend la décision de regrouper les réfugiés tutsi sur le site de l'école en construction de Murambi. Pas pour faciliter leur extermination comme l'affirme l'accusation, mais pour "assurer leur sécurité", soutient sa défense.
Le 21 avril 1994 vers 03H00 du matin, l'école est encerclée par des militaires, des miliciens et des civils hutu armés de fusils, grenades et machettes, qui tuent des dizaines de milliers du Tutsi, avant de s'attaquer dans la même journée aux réfugiés de deux églises voisines.
Des rescapés de Murambi ont certifié avoir vu le préfet sur le site le matin du massacre, ce que l'accusé nie. Les avocats de ce dernier, Me Biju-Duval et Me Joachim Levy, ont demandé à la cour "d'écarter" ces témoignages considérés comme "inexacts, insuffisamment fiables ou mensongers".
Laurent Bucyibaruta est alors "hors champ", "laissé de côté", "n'a plus aucun pouvoir", martèle sa défense, rappelant l'appel "sans équivoque à tuer les Tutsi" du président du gouvernement intérimaire "le 19 avril" 1994 et les messages de haine diffusés par des "radios criminelles".
"On n'a plus besoin de lui pour que le génocide s'accélère partout ailleurs au Rwanda", appuie Jean-Marie Biju-Duval.
Le préfet lui-même est dans "une impasse sécuritaire". Face aux "gendarmes génocidaires" et aux miliciens "galvanisés", il n'est "plus qu'un civil sans arme", poursuit son avocat.
L'accusé aura une dernière fois la parole mardi matin. Le verdict est attendu dans la journée.